Alors que les derniers préparatifs des Jeux olympiques de Paris sont en cours, peut-on encore croire à l’“apolitisme” des Jeux ? Les Jeux Olympiques de Montréal fournissent un exemple – parmi beaucoup d’autres – de l’utilisation politique des Jeux Olympiques.
Pour la première fois de son histoire, et seulement seconde ville francophone depuis Paris en 1924, Montréal accueille les Jeux Olympiques en 1976. L’enjeu est majeur tant pour la ville – qui espère obtenir un statut mondial face à sa rivale Toronto – que pour le Québec, qui veille jalousement à son identité francophone au sein d’un Canada majoritairement anglophone.
Quatre ans après les Jeux de Munich et le drame de l’exécution de la délégation israélienne par le commando palestinien Septembre noir, les questions de sécurité sont à l’agenda des Jeux de Montréal.
Mais hormis le retrait de Taïwan, sous la pression de la Chine, les questions géopolitiques semblent se concentrer sur la Guerre froide et sa métaphore sportive : la concurrence olympique qui oppose les États-Unis et l’URSS (Union des Républiques socialistes soviétiques). À une semaine de l’ouverture des Jeux, personne n’imagine le coup de tonnerre – aux résonances mondiales – qui va s’abattre sur l’olympiade montréalaise.
En tant qu’historien et chercheur, j’ai co-dirigé plusieurs ouvrages et consacré plusieurs travaux à l’histoire des Jeux Olympiques. Je prends ici l’exemple de Montréal en 1976 pour expliquer comment les JO ont souvent servi de tribune politique.
L’émergence d’une force géopolitique africaine
Dès 1963, lors de sa création, l’Organisation de l’unité africaine (OUA – 32 pays africains à l’époque – devenue Union africaine en 2002) se donne deux principaux buts politiques. D’une part, la décolonisation des derniers territoires africains sous tutelle occidentale, d’autre part abattre les régimes d’Apartheid sud-africain et rhodésien. La composition du Comité international olympique, après les décolonisations, est bouleversée par l’entrée des nouveaux pays indépendants. Les équilibres de la Guerre froide sont modifiés, et sous la pression des représentants des nations nouvellement indépendantes et du glacis des pays communistes, l’Afrique du Sud est exclue des Jeux Olympiques en 1964, la Rhodésie (actuel Zimbabwe) en 1972.
Même bouleversement à l’ONU, où la pression sur l’Afrique du Sud s’est accentuée après les décolonisations des pays d’Afrique et d’Asie, au cours des années 1950-1960. En 1962, par exemple, une “Convention pour l’élimination de toutes les formes de discriminations raciales” visant clairement l’Afrique du Sud est adoptée et, en 1969, l’Assemblée générale demande à tous les États de mettre fin aux échanges culturels, éducatifs ou sportifs avec le “régime raciste d’Afrique du Sud”. Mais ces pressions internationales sont contrées par le droit de veto ou l’abstention de certains pays occidentaux, notamment les États-Unis, et n’ont pas valeur contraignante.
Entre 1974 et 1975, les dernières colonies portugaises (Angola, Cap-Vert, Guinée-Bissau, Mozambique et Sao Tome) deviennent indépendantes. Le principal objectif politique devient dès lors pour l’OUA la lutte contre l’Apartheid. Malgré les appels de l’organisation au boycott de l’Afrique du Sud et l’action de ses membres au sein du “Comité spécial chargé d’étudier la politique d’apartheid du gouvernement de la République sud-africaine” de l’ONU, le poids concret de l’OUA dans l’isolement de l’Afrique du Sud est faible, reflet de son rôle géopolitique à l’échelle mondiale.
En 1975, le rapport du Comité spécial de l’ONU insiste à nouveau sur la lutte contre les pays qui continuent à entretenir des liens avec l’Afrique du Sud et la Rhodésie, notamment sportifs.
Un boycott massif
Dans ce contexte, l’OUA va organiser en 1976 la demande d’exclusion de la Nouvelle-Zélande des Jeux Olympiques de Montréal, au motif que celle-ci a autorisé en 1976 son équipe de rugby à réaliser une tournée en Afrique du Sud pour jouer contre l’équipe des Springbok, composée uniquement de blancs. La menace d’un boycott des pays africains est l’évènement géopolitique majeur de ces Jeux Olympiques et intervient moins d’une semaine avant leur ouverture : la pression sur le CIO est donc maximale.
Un événement catalyse la réaction de l’OUA : le massacre de Soweto, dans la banlieue de Johannesburg. Le 16 juin 1976, une manifestation d’écoliers et de lycéens tourne à l’émeute. L’incroyable violence de la répression policière occasionne la mort de 600 manifestants et l’arrestation de plusieurs dizaines de milliers de personnes, essentiellement des noirs.
L’OUA se réunit du 24 juin au 3 juillet 1976 à Port-Louis (Maurice), à l’occasion de la 27e session ordinaire du Conseil des ministres de l’organisation. Sa réaction est violente : en plus de condamner le massacre, elle appelle appelle à la lutte armée contre le régime sud-africain et soutient la livraison d’armes aux mouvements de libération.
Une résolution concerne directement la Nouvelle-Zélande, invitant clairement le CIO, à exclure ce pays des Jeux Olympiques. Nous sommes le 15 juillet, à deux jours de l’ouverture des Jeux. De nombreuses délégations africaines sont déjà présentes à Montréal.
Le mouvement sportif est donc mis en échec par la décision des États africains, au moment où une négociation complexe s’engage avec le CIO. L’échec de cette négociation aboutit au boycott de 22 pays africains. Deux pays refusent de participer à ce mouvement, fidèles alliés de la France : la Côte d’Ivoire et le Sénégal. Le boycott est donc une décision des États membres de l’OUA, sans que les délégués africains au CIO ni les Comités nationaux olympiques exercent la moindre influence sur la décision. C’est un véritable coup de tonnerre sur les Jeux Olympiques, qui perdent une partie de leur attrait sportif au profit d’une mise en accusation de la politique raciale de l’Afrique du Sud et des pays complaisants à son égard.
Médiatiquement et politiquement, en utilisant la scène olympique, l’OUA vient de réussir un coup de maître : la presse mondiale ne parle que du boycott, ce qui met en évidence la question de l’Apartheid.
Quelles conséquences ?
Les conséquences du boycott des pays africains sont importantes. Tout d’abord, l’Afrique s’affirme comme une puissance autonome dans le domaine de la diplomatie sportive internationale, qui joue ici un rôle compensateur par rapport à la relative inefficacité de l’OUA au sein de l’ONU, notamment pour la promotion des sanctions contre l’Afrique du Sud. Les liens postcoloniaux des nations africaines sont rebattus : le boycott est suivi presque à parts égales par d’anciennes colonies britanniques et françaises, appartenant majoritairement pour les premières au Commonwealth et pour les secondes au « pré carré » africain de la France.
La rupture conjoncturelle avec les anciennes métropoles dans le domaine de la diplomatie sportive est nette, hormis pour le Sénégal et la Côte d’Ivoire qui votent avec la France, dénotant leur dépendance politique et économique à l’ancienne métropole.
Dans ce contexte, le CIO affirme dans la crise à la fois son indépendance, son impuissance et son conservatisme. Son indépendance puisque, contrairement à l’exclusion de la Rhodésie en 1972, il maintient sa position, arguant que le rugby n’est pas un sport olympique et que la politique sportive de la Nouvelle-Zélande ne dépend pas du CIO. Son impuissance, puisque le boycott est finalement une réussite. Dans ce contexte, la décision du boycott émane de l’OUA : les États, face aux Comités nationaux olympiques (CNO), ont le dernier mot.
Son conservatisme, puisque si le CIO cède sous la pression pour exclure l’Afrique du Sud : il n’anticipe pas les répliques de cette onde de choc, dont les matchs de rugby entre l’Afrique du Sud et la Nouvelle-Zélande est le révélateur. Il y a en effet un double enjeu, pour l’OUA, dans la lutte contre la compromission avec l’Apartheid : un enjeu moral indéniable, l’Apartheid rappelant sous une forme radicalisée l’ancienne domination coloniale ; un enjeu géopolitique dans la mesure ou l’OUA fonde aussi sa cohérence “panafricaine” sur ce combat.
Finalement, le boycott des Jeux olympiques de Montréal est un révélateur de la complexité de relations internationales sportives, qui excède largement le seul affrontement Est-Ouest. Il illustre ici les efforts de l’OUA pour concrétiser une véritable “force africaine” sur la scène mondiale, en contournant les blocages de l’ONU pour s’attaquer au CIO. Les Jeux Olympiques de 1976 furent donc bien une scène politique, à l’échelle mondiale.
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