À la suite de la manifestation violemment réprimée contre les méga-bassines à Sainte-Soline le 25 mars dernier, les Soulèvements de la Terre (ci-après les SdlT), collectif écologiste co-organisateur de l’évènement dans les Deux-Sèvres, s’est retrouvé sous les projecteurs médiatiques et politiques qui lui font vivre un véritable tournant.
Le rassemblement contre l’A69 dans le Tarn le week-end du 22-23 avril a rassemblé plus de 8000 personnes et beaucoup espèrent une mobilisation similaire dans les environs de Rouen les 5 et 6 mai.
Malgré la menace de dissolution par le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin (qui n’a pour le moment pas donné suite), et les stigmatisations récurrentes de la part de ses détracteurs, le mouvement est plus que jamais fédérateur et prend une ampleur sans précédent.
Dans le contexte de la mobilisation nationale en France contre la réforme des retraites et de la multiplication des luttes écologiques en Europe et dans le monde, les SdlT incarnent un renouveau des luttes écologistes et anticapitalistes radicales. De quoi est faite cette « terre qui se soulève » ?
Une histoire en train de se faire
La formation des SdlT en 2021 par des activistes issu·e·s de la Zone-à-Défendre (ZAD) de Notre-Dame-des-Landes n’est pas anodine. En effet, la ZAD marque un tournant dans l’histoire du mouvement écologiste français. Tout d’abord, parce qu’elle a été victorieuse et parce que son existence perdure.
Comme plusieurs personnes en témoignent, la ZAD a été une alliance entre des jeunes militant·e·s écologistes anticapitalistes et des paysan·nes locaux·les pour la défense d’un territoire et pour des formes de vie non marchandes et semi-marchandes. Ces alliances défensives et cette manière particulière de façonner le réel résonnent au sein des SdlT.
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Un renouveau des luttes anticapitalistes et écologistes
Les SdlT s’inscrivent dans un renouveau des luttes anticapitalistes et écologistes qui a commencé avec Occupy (2009), Nuit debout (2016) ou encore les gilets jaunes (2019) et s’inspirant beaucoup des positionnements idéologiques Zapatistes. Ces luttes partagent trois points : ce sont des formes auto-organisées sans leaders officiel·le·s, elles recourent à l’occupation pour se réapproprier des lieux publics (places, ronds-points, territoires naturels) et elles sont anticapitalistes.
En ce sens, les SdlT incarnent un mouvement radical. Terme qu’il faut entendre ici dans son sens étymologique, c’est-à-dire qui a rapport au principe d’une chose et sa racine. La lutte des SdlT est donc radicale puisque le mouvement se rapporte aux fondements de ce qui fait l’écologie c’est-à-dire, les relations que nous entretenons avec les différentes entités (les humains et l’ensemble du vivant) qui composent le monde social. Cette radicalité se structure autour de trois éléments principaux explorés ici : les dimensions fédératrices et décentralisées, la rhétorique des alliances vivantes et une pensée fine et réflexive des stratégies de luttes.
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Un mouvement fédérateur et décentralisé
Les SdlT ne se désignent ni comme une association, ni comme un groupe constitué, mais comme un réseau anticapitaliste de luttes locales à la croisée de l’écologie et des questions sociales. En effet, bien que l’agro-industrie, l’accaparement des terres, l’artificialisation des sols et l’écologie sans transition soient visées, les SdlT considèrent que les questions écologiques et sociales ne font qu’une et sont interdépendantes. Ainsi, les luttes écologiques doivent s’arrimer à des solutions pour améliorer les conditions sociales des individus et inversement.
Les SdlT agrègent plusieurs associations : la Confédération Paysanne, Alternatiba et ATTAC et ont été rejoints par des activistes d’Extinction Rébellion et de Dernière Rénovation. À en croire le site officiel, plus de 9 5882 personnes sont signataires de la Tribune, chiffre dont le nombre a particulièrement augmenté suite à Sainte-Soline.
Parmi ces personnes, on trouve des figures politiques d’Europe Écologie Les Verts et de la LFI/Nupes. De plus, des personnalités connues se sont mobilisées pour s’opposer à la dissolution et soutenir le mouvement. Enfin, force est de constater l’appui inconditionnel de plusieurs intellectuel·le·s reconnu·e·s comme Naomi Klein, Alain Damasio, Andreas Malm ou Philippe Descola. Les SdlT apparaissent donc comme un réseau hyper fédérateur, ce qui fait sa force et son unicité tout en lui donnant une très grande légitimité.
À cela s’ajoute une volonté de décentralisation puisque les SdlT agissent en réseau afin de visibiliser et relayer des luttes locales portées par des collectifs citoyens. Par exemple, Bassines Non Merci groupe organisé contre les méga-bassines, la Voie est Libre contre le projet d’autoroute A69 Toulouse-Castres ou le groupe No Tav mobilisé contre le chantier ferroviaire Lyon-Turin.
Cette volonté décentralisatrice s’est concrétisée dernièrement avec l’appel réussi à la création de comités locaux partout en France (afin de prouver au gouvernement l’impossible dissolution d’un mouvement aux multiples ramures. Cet appel a d’ailleurs dépassé les frontières françaises et a été entendu en Belgique et en Suisse.
« Nous sommes le vivant qui se défend »
La deuxième dimension structurante du mouvement est la rhétorique des alliances vivantes qui se déploie à travers la structuration de la lutte en « saisons » et des slogans tels que « Nous ne défendons pas la nature, c’est la nature qui se défend », « Nous sommes le vivant qui se défend », « Nous sommes les soulèvements de la terre », ses déclinaisons sur le thème de l’eau ainsi que « Ce qui repousse partout ne peut être dissout ».
Inédite dans les mouvements sociaux bien que fortement inspirée par le mouvement zapatiste, cette rhétorique n’est pas sans lien avec une école de pensée théorique issue de plusieurs anthropologues. Des figures telles que Philippe Descola, Anna Tsing ou encore Tim Ingold ont montré comment la société capitaliste a imposé une séparation hiérarchique entre Nature et Culture, plaçant la Culture comme supérieure à la Nature qu’il faut domestiquer, maîtriser et s’approprier.
Pourtant, cette façon de concevoir le lien Nature/Culture n’est pas propre à l’ensemble des sociétés humaines et est particulièrement destructrice pour les écosystèmes vivants. Si bien que la nécessité de revoir cette séparation est cruciale. En se revendiquant comme étant la Terre qui se soulève, les SdlT, matérialisent ce geste théorique. En effet, les humains incarnent l’ensemble de ce vivant qui se défend produisant alors des alliances terrestres et vivantes qui représentent des manières inédites de se mobiliser.
Une partition de stratégies de luttes diverses
Les SdlT élaborent aussi une panoplie de pratiques militantes qui reposent sur un postulat de base : la mobilisation doit modifier une situation.
Il ne s’agit plus de s’en tenir à des manifestations classiques, c’est-à-dire la traditionnelle marche d’un point A à un point B, mais de déployer des « manifestations impactantes » (ou manif’actions). Ces dernières peuvent prendre plusieurs formes : occupations, blocages, démantèlements, jeux. Toutes ces stratégies s’inspirent du « be water » ayant eu cours lors des manifestations à Hong Kong et des gilets jaunes c’est-à-dire le fait d’être imprévisibles, rapides et toujours en mouvement.
Par ailleurs, la répression violente de la manifestation de Sainte-Soline amène le collectif à réfléchir à ces tactiques. En effet, le changement d’échelle dû à la grande participation et la militarisation générale de l’état implique une réadaptation et peut-être de nouvelles formes encore plus imperceptibles de luttes.
Une ingéniosité nouvelle
Étant donné ces trois dimensions structurantes, les SdlT font preuve d’une ingéniosité qui induit un empouvoirement des luttes écologistes (cela étant d’ailleurs reconnu dans une note récente des renseignements français).
À la fois fédérateurs et décentralisés, donnant une place centrale aux territoires naturels et développant des stratégies de luttes diverses, les SdlT essaiment une multitude de soulèvements terrestres dont il deviendra difficile de suivre toutes les occurrences.
Du fait de ce devenir multiple, furtif et diffusé dans plusieurs lieux, les SdlT ont sûrement trouvé une nouvelle voie pour s’organiser contre « l’ordre républicain » tel que le nomme le philosophe du politique Jacques Rancière qui souligne la dépolitisation des enjeux de partage des ressources, la militarisation du maintien de l’ordre et le recours au passage en force législatif avec le 49.3.
Le mouvement offre ainsi un chemin porteur pour se réapproprier les territoires menacés de destruction et aussi pour inclure dans la lutte un ensemble composite de classes sociales (allant des classes populaires aux classes bourgeoises). Se faisant, il essaime une écologie radicale et sociale dont les futurs échos pourraient prendre une ampleur insoupçonnée.
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