Guy Bourdin exposé à Milan : « Il a connu cette époque où c’est le photographe qui avait le pouvoir sur le styliste


Guy Bourdin pour Charles Jourdan, automne 1970. Guy Bourdin pour Charles Jourdan, automne 1970.

Ligotées et allongées sur des rails, au beau milieu de la campagne, trois jambes de femmes reposent, en collants acidulés et escarpins vernis. Ces membres sont-ils reliés à un tronc hors cadre ? Et pourquoi sont-ils en nombre impair ? Ce cliché est-il saisi avant ou après la mort des héroïnes ? Une seule image mais déjà, dans l’esprit du spectateur, un film démarre : c’est là tout le talent de Guy Bourdin, dignitaire de la photographie du XXe siècle.

Cette photo aux rails, datée de 1970, fut réalisée pour la marque de chaussures Charles Jourdan. L’une des associations publicitaires les plus fructueuses de l’histoire de la mode, l’un et l’autre y ayant gagné estime artistique et succès commercial, et qui occupe une place notable dans « Guy Bourdin Storyteller », une nouvelle exposition organisée à Milan au Armani/Silos, Musée d’art de la mode inauguré par le couturier italien Giorgio Armani en 2015.

Les mannequins très convenables de l’imperatore du minimalisme à l’italienne, âgé aujourd’hui de 88 ans, sont pourtant à mille lieues des femmes hypersexualisées du photographe français : « Guy Bourdin n’est pas un artiste avec qui j’ai beaucoup en commun », convient-il en préambule à l’accrochage. Mais de souligner son aptitude à « ne pas suivre la foule et ne pas faire de compromis : à cela, je m’identifie ».

Percuté une bourgeoise en nuisette

Talons carrés, mais hauts, ou stilettos, lanières enserrant les chevilles… Les chaussures, accessoires fétichisés depuis le XVIIIe siècle, achèvent les silhouettes des héroïnes de Guy Bourdin, des femmes sveltes aux jambes interminables, qu’elles soient debout ou allongées. Comme sur cette photo, où un tableau tombé du mur semble avoir percuté une bourgeoise en nuisette et souliers qui gît, inerte, sur la moquette.

« Pour comprendre Bourdin, il faut d’abord rappeler qu’il éclôt dans le contexte d’une libération sexuelle – où l’on parle pilule et contraception – qui agite les milieux blancs et favorisés dans les années 1960, resitue Sarah Banon, professeure à l’Institut français de la mode et doctorante à Paris-VIII-Vincennes. Avec Helmut Newton, Guy Bourdin va faire passer cette libération du concept à la représentation, en l’imageant. »

L’un et l’autre donneront à voir leurs fantaisies dans les pages de l’édition française de Vogue, introduits par Edmonde Charles-Roux, que Guy Bourdin rencontre en 1954. Chapeau-choc, sa première commande, montre une « capeline en tulle piqué havane » signée Claude Saint-Cyr, sur la tête d’un mannequin qui pose dans le populaire marché des Halles, avec têtes de veau et lapins éviscérés en arrière-plan.

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