Cette semaine, j’ai décidé de me suicider (professionnellement) en écrivant une chronique qui risque de me faire perdre les deux tiers de mes abonnés. Je vais en effet vous parler de l’orthographe phonétique. Bon, vous l’aurez remarqué, je suis suffisamment prudent (et soucieux de pouvoir payer mon loyer quelque temps encore) pour ne pas avoir titré cette lettre : « Paçon au francé fonétik ! » En revanche, il me paraît intéressant d’aborder ce sujet, car il permet de poser ces deux questions éternelles : à quoi sert l’orthographe et quelles règles doivent la régir ?
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En la matière, deux écoles s’affrontent. Si la première défend le statu quo, la seconde estime que l’orthographe est à la langue ce que la partition est à la musique : une simple manière de la noter. Selon cette approche, la graphie devrait donc être la plus transparente possible : le son [o] s’écrire toujours o et jamais au ni eau ; le son [f], toujours f et non ph, etc. C’est d’ailleurs plus ou moins le cas du turc, du serbe, de l’italien ou du castillan, qui n’en sont pas moins des langues de culture, on en conviendra. Pour transcrire « théâtre » et « art lyrique », nos amis transalpins écrivent ainsi teatro et arte lirica et nul ne s’en offusque.
Remontons encore le temps et rappelons cette vérité aussi évidente que peu connue : « Au départ, les écritures alphabétiques sont phonétiques par définition », comme le souligne le professeur de paléographie Marc Smith, qui enseigne l’histoire de l’écriture à l’Ecole nationale des chartes. Et c’est logique ! Une fois défini un code graphique – la lettre a pour transcrire le son [a] ; la lettre b pour le son [b], etc. –, aucun scribe n’a été assez pervers pour écrire a quand il entendait [o] ou [u]. C’est ensuite que les choses se sont gâtées.
Le problème est simple à comprendre : au fil des générations, la prononciation change et toute langue vivante est tôt ou tard confrontée à un choix. Soit elle reste fidèle à la graphie des origines, soit elle l’adapte pour tenir compte de l’évolution phonétique. Prenons l’exemple de « dragon », qui remonte au latin « draconem ». A l’oral, « draconem » est donc devenu [dragon] et, vous pouvez le constater avec moi, la graphie a suivi : « dragon ».
Telle n’est cependant pas systématiquement la règle en français, comme le montre le mot « second ». Pourquoi vous et moi le prononçons-nous [segon] ? Parce que ce terme vient du latin « secundum » et que, comme pour « draconem », [k] a évolué en [g]. Mais, alors, pourquoi l’écrivons-nous « second » ? Parce que, pour ce mot, la graphie a été alignée sur l’étymologie. Notez qu’il n’en est pas de même en castillan, où « segundo » se prononce [g] et s’écrit g, ni en anglais, où « second » se prononce [c] et s’écrit c. Conclusion ? L’orthographe française manque de cohérence. Elle est parfois étymologique, c’est-à-dire fidèle à ses origines ; et parfois phonétique, c’est-à-dire conforme aux évolutions de la prononciation. Le tout dans un joyeux désordre.
C’est pourquoi le courant phonétique a compté et compte encore de multiples et prestigieux partisans. Car il faut ici briser un mythe. Non, ce mouvement n’est pas né voilà trois ans dans un obscur bureau du ministère de l’Education nationale où quelques pédagogues dingos (admirez l’allitération en [d] et [g]) passeraient leurs journées à fomenter avec nos impôts la ruine de la Cultuuure Françaaaise. Sans remonter à Voltaire, qui préconisait d’écrire « filosofe », signalons l’existence, dès 1856, d’une grammaire entièrement rédigée en alphabet phonétique par Maurice Lachâtre, un lexicographe proche de Proudhon désireux de faciliter l’accès du peuple à la langue. Et ce n’est qu’un exemple parmi d’autres. (voir la rubrique « à regarder ».)
Pourquoi ses partisans ont-ils été vaincus chez nous, alors qu’ils ont triomphé dans d’autres pays ? Peut-être en raison de notre psychologie collective. A la fin du Moyen Age, comme le rappelle le linguiste Bernard Cerquiglini, les érudits se sont rendu compte que, de toutes les langues romanes, le français était la plus éloigné du latin en raison de l’influence germanique due à l’arrivée des Francs. Un brin vexés, les clercs ont alors introduit des « complications » en latinisant à tout-va la graphie du français, ajoutant ici et là des lettres que l’on n’entendait pas, mais qui rappelaient ses origines antiques : un p à « sept » (du latin « septem »), anciennement « set » ; un m et un p à « temps » (du latin « tempus »), anciennement « tens », et ainsi de suite. Cette tradition a été globalement reprise par le premier dictionnaire de l’Académie française, en 1694, et a perduré depuis, pour le plus grand bonheur des fabricants de stylos rouges servant à entourer nos « fautes » d’écoliers…
Ce choix, qui fait débat depuis des siècles, continue d’alimenter les réflexions de nos jours. Le Cercle alfonic plaide ainsi pour un alphabet rigoureusement phonétique, afin « d’aider les enfants à entrer dans la lecture et l’écriture de manière plus efficace et plus décontractée ». Moins radical, le groupe Erofa se contenterait de trois réformes : la suppression des consonnes doubles (sauf dans des mots comme « accéder ») ; le remplacement du x final non prononcé par s (des « cheveus » comme des « pneus ») ; la suppression des ch et ph d’origine grecque, comme c’est le cas pour d’autres langues romanes (« arcaïque », « coriste », « anfibie »…).
Rien de faraonique à leurs yeus, mais sufisant pour faire dresser les cheveus de leurs nombreus oposants.
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À LIRE AILLEURS
« Lire, ce n’est pas seulement décoder, c’est comprendre »
Passionnant entretien avec le chercheur en neurosciences Michel Desmurget, qui alerte sur la baisse de la pratique de la lecture chez les jeunes. « Aucun autre média ne permet à ce point de pénétrer les pensées d’autrui, souligne-t-il, si bien que la lecture a un impact considérable sur la capacité de comprendre les autres. » Aussi appelle-t-il à faire de la lecture « une grande cause nationale ».
Ecriture inclusive : « l’usage tranchera »
Propos intéressants et nuancés de la linguiste Mireille Elchacar dans les colonnes de nos confrères canadiens du Devoir. Elle rappelle en premier lieu que l’écriture inclusive est un ensemble de procédés – les pronoms, le « iel », les doublets, les points médians, etc. – que chacun peut choisir d’utiliser ou non. Et que, in fine, c’est « l’usage [qui] va déterminer [ceux] qui vont s’implanter ».
Inquiétude pour l’enseignement du français en Espagne
Alors que la Commission européenne plaide pour le multilinguisme, le système éducatif espagnol s’oriente de plus en plus vers l’enseignement d’une seule langue vivante étrangère, l’anglais, dès la maternelle. Une situation qui inquiète les enseignants de français. Par l’intermédiaire de Benjamin Boutin, président d’honneur de Francophonie sans frontières et maître de conférences associé à l’Institut international pour la francophonie-université Lyon III, ils viennent d’alerter sur ce sujet Stéphane Séjourné, le nouveau ministre des Affaires étrangères.
Au Brésil, les téléphones s’ouvrent aux langues indigènes
Au Brésil, il a été longtemps impossible d’écrire un message sur son téléphone dans sa propre langue quand on appartenait à une communauté indigène d’Amazonie brésilienne. Grâce à une toute nouvelle application, ce temps est désormais révolu.
De jeunes Acadiens posent des panneaux bilingues franco-anglais
Des élèves acadiens se mobilisent pour faire installer des panneaux d’arrêt bilingues dans leurs localités. Une manière d’améliorer la représentation linguistique et culturelle du français dans certaines provinces majoritairement anglophones du Canada.
Les enseignants d’occitan et de basque défendent la place de leurs langues au bac
Les défenseurs de l’occitan et du basque ont manifesté devant l’inspection académique de Pau (Pyrénées-Atlantiques) pour demander la possibilité de passer certaines épreuves du brevet et du bac dans ces deux langues.
Radio Naoned, nouvelle chaîne en langue bretonne
Basée à Saint-Herblain, dans la Loire-Atlantique, Radio Naoned (intégrée au réseau Radio Breizh) entend diffuser un programme 100 % en langue bretonne sur l’ensemble de la Bretagne. Ses dirigeants ont déposé leur candidature auprès de l’Arcom afin d’obtenir une fréquence.
Spa et Stoumont s’engagent pour le wallon
Les communes belges de Spa et de Stoumont veulent obtenir le label « Oui » aux langues régionales. Une démarche mise en place afin de promouvoir la pratique du wallon et sauvegarder le patrimoine multiséculaire dont elles sont les vecteurs. Panneaux bilingues, sensibilisation dans les écoles, pièces de théâtre : les deux localités sont déjà engagées dans cette voie, mais veulent désormais aller plus loin.
Grâce à l’intelligence artificielle, les invités des médias parlent plusieurs langues
Après la rédaction d’articles et la création d’images, l’intelligence artificielle est désormais utilisée par certains médias pour faire parler leurs journalistes et leurs invités dans plusieurs langues. Brut vient ainsi de publier un documentaire de douze minutes enregistré en français, puis traduit en anglais et en espagnol.
Parler français dans les relations internationales, c’est possible
« Diplomatie informelle » au lieu de « backchannel diplomacy » ; « pays attentiste » et non « fence‑sitting country » ; « tourisme doux » (ou « tourisme lent ») à la place de « slow tourism ». Oui, malgré la prédominance de l’anglais, il est possible de parler français dans les relations internationales. La preuve avec ces équivalents réunis sur le site FranceTerme.
Evitez les stéréotypes en matière de langage avec Paringalang
« On ne peut pas confier des responsabilités à une personne qui parle avec l’accent de Marseille. » C’est à ce type de stéréotypes que s’attaque Priscille Ahtoy, une docteure en sciences sociales qui accompagne les entreprises, les collectivités et les établissements scolaires dans la promotion de la diversité linguistique et culturelle. Une philosophie que résume le nom de son entreprise : Paringalang – pour PARité, INterculturalité et éGAlité par la LANGue.
Erratum
Contrairement à ce que j’ai écrit la semaine dernière, le Vatican dispose non pas d’une seule mais de quatre langues officielles : l’italien, l’allemand, le français et le latin, bien sûr. Mea culpa…
À ÉCOUTER
Accents : France Inter dénonce la glottophobie… tout en la pratiquant
Bravo à cette émission de France Inter consacrée au spectacle Parler pointu, de Benjamin Tholozan, qui dénonce les discriminations liées aux accents. Encore faudrait-il que la radio nationale cesse d’écarter de l’antenne journalistes et animateurs « coupables » de ne pas s’exprimer avec l’accent standard…
À REGARDER
La dernière réforme de l’orthographe… a bientôt deux siècles, par Linguisticae
Voilà des siècles que certains plaident pour une simplification de l’orthographe et l’Académie française ne s’y est pas toujours opposée, en tout cas jusqu’en 1835. C’est ce que rappelle dans cette vidéo vivante et pédagogique le youtubeur Linguisticae.
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