Le salon du livre en guerre à Kiev

Le salon du livre en guerre à Kiev
Le salon du livre en guerre à Kiev

Lors du onzième Salon international du livre de l’Arsenal, dans le complexe du Musée national d’art et de culture de l’arsenal Mystetskyi, à Kiev (Ukraine), le 22 juin 2023. Lors du onzième Salon international du livre de l’Arsenal, dans le complexe du Musée national d’art et de culture de l’arsenal Mystetskyi, à Kiev (Ukraine), le 22 juin 2023.

C’est en 1783 que l’impératrice Catherine II décida l’édification d’un arsenal militaire dans le sud de Kiev, en face du site de Petchersk, central dans la piété orthodoxe. La construction en fut supervisée par Charles de Chardon, un ingénieur français alors au service de la tsarine. Transformé en musée national par l’Ukraine indépendante, en 2005, l’Arsenal accueille, depuis lors, expositions temporaires et manifestations culturelles.

C’est là qu’a été lancé en 2011 le Salon du livre de Kiev, très fréquenté chaque année jusqu’à la pandémie de Covid-19. Tenu en format hybride en 2021, le salon a dû être annulé, l’année suivante, du fait de l’invasion russe. C’est dire que sa réouverture, du 22 au 25 juin, était très attendue par un public qui est venu nombreux, malgré les risques d’alertes aériennes. Un abri est d’ailleurs prévu sur le site, avec possibilité de revenir au salon, muni du même ticket, une fois l’alerte levée.

Zelensky et son épouse invités surprise

L’édition 2023 a été organisée en un peu plus de trois mois, révélant une fois encore l’efficacité du volontarisme ukrainien, avec le choix d’inviter les libraires plutôt que les éditeurs, même si ceux-ci sont naturellement associés aux séances de dédicaces.

Les ouvrages présentés ont tous été publiés depuis le déclenchement de l’invasion russe, en février 2022, révélant le dynamisme du secteur éditorial, jusqu’en cette période de guerre ouverte. Et le salon fait la part belle aux initiatives de solidarité, dont les bénéfices sont reversés partiellement ou intégralement. Tel est le cas d’Ukraine : 50 symboles de résistance, de l’illustratrice Mari Kinovych, publié simultanément en anglais et en ukrainien, ou des œuvres de l’atelier de calligraphie L’Art et moi.

Deux cents personnalités ont été conviées d’Ukraine et de l’étranger avec, venus de France, les écrivains Emmanuel Carrère, Emmanuel Ruben ou Olivier Truc (par ailleurs journaliste et correspondant du Monde à Stockholm).

Volodymyr Zelensky et son épouse ont été les invités surprise de la soirée d’ouverture, s’attardant d’un stand à l’autre. La sécurité présidentielle était vigilante, mais sans aucun des excès que la situation de guerre aurait pu laisser craindre. Le chef de l’Etat a, entre autres, feuilleté et acheté Théories de la conspiration, de Maksym Yakovlev, professeur à l’Académie Mohyla de Kiev.

Deux étudiantes, qui voyaient pour la première fois leur président, se réjouissaient qu’il puisse ainsi, en pleine contre-offensive, consacrer ce long moment à la culture ukrainienne. Zelensky a salué un « pays où les livres de l’Arsenal sont à la fois des armes et la valeur la plus précieuse », car « personne ne peut vaincre un tel pays ». La soirée s’est d’ailleurs conclue par un concert de l’orchestre de chambre de Marioupol, orchestre baptisé « Renaissance », en hommage à sa ville d’origine, occupée par l’armée russe depuis mai 2022, après un siège de trois mois qui a causé des dizaines de milliers de victimes.

Lire le récit : Article réservé à nos abonnés Marioupol, chronique d’un martyre

« Chaque chose compte »

Le soleil de ce début d’été a beau être doux et réconfortant, la guerre n’est jamais loin des corps et des esprits. Le défi est alors d’animer un tel événement sans céder à l’obsession du conflit, d’où le choix de « Chaque chose compte » pour devise de la manifestation. Cette importance de la résistance, jusque dans les gestes les plus humbles du quotidien, cette valeur accordée aux valeurs, donc aux livres, se retrouvent dans les nombreux débats, dans les installations d’art contemporain et dans les projections documentaires.

Un des moments forts est la lecture, en présence de sa mère, du Journal de guerre de Volodymyr Vakoulenko, « poète et martyr de l’invasion russe », assassiné au printemps 2022 durant l’occupation de son village, proche de Kharkiv. Quant à l’installation d’Alisa Shampanska sur sa « Crimée intérieure », elle évoque la militarisation de ce territoire occupé, puis annexé, afin de le transformer en base d’agression contre le reste de l’Ukraine. Et un poster d’Oleksandr Shatokhin met en scène un soldat ukrainien recousant avec méthode les deux bandes jaune et bleu du drapeau national.

Une section et un programme d’activités sont consacrés à la jeunesse et à ses livres, avec toute une production traitant de la guerre pour mieux en apaiser les angoisses. La « prose graphique » est aussi à l’honneur, avec l’édition ukrainienne d’albums de Moebius, de Frederik Peeters, de Marjane Satrapi ou d’Art Spiegelman. Les deux volumes de L’Incroyable Histoire du sexe, de Philippe Brenot et Laëtitia Coryn, suscitent un intérêt soutenu.

De manière générale, poufs et chaises longues invitent à bouquiner, tandis qu’un présentoir des publications récentes en langue ukrainienne permet de découvrir des titres édités à l’ombre de l’invasion. Le billet pour une journée de salon est de 100 hryvnias, l’équivalent de 2,50 euros. L’entrée est gratuite pour les militaires, les retraités et les personnes déplacées, ainsi que pour les familles de vétérans et de morts au combat.

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