Chacun le sait, ou le sent : les langues sont l’expression d’une sensibilité, d’un certain rapport au monde, d’un regard particulier sur la vie. En cela, elles sont une richesse pour toute l’humanité.
Or la France laisse sombrer dans une indifférence générale sa richesse linguistique, pourtant exceptionnelle. Si l’on ne fait rien, la plupart de nos langues dites « régionales » auront disparu d’ici à la fin du siècle, d’après l’Unesco. Quant à notre idiome national, il n’est certes pas menacé, mais il est souvent malmené, notamment par notre manie collective des anglicismes.
Cette lettre d’information a donc pour objet de soutenir les langues les plus faibles contre les plus fortes. De protéger dans un même mouvement le français contre l’anglo-américain, mais aussi le corse, le picard et le breton contre le français, quand celui-ci devient écrasant.
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Il suffit de se balader dans nos rues ou d’écouter les publicités pour le constater : il y a beaucoup – trop – d’anglicismes en France. Et encore : cela pourrait être bien pire. Savez-vous par exemple que nous avons échappé à « land take » pour « artificialisation des sols », à « car pool » pour « covoiturage », et à « moutain bike » pour « vélo tout-terrain » ?
Ces succès, on les doit au très sous-estimé « dispositif d’enrichissement de la langue française » créé par un décret de 1972. Un dispositif qui s’appuie notamment sur une vingtaine de commissions de terminologie, chacune étant spécialisée dans un domaine précis, comme l’éducation, l’automobile, l’énergie ou le sport. Ce sont elles qui inventent, imaginent, forgent et échafaudent les mots destinés à enrichir le vocabulaire spécialisé, à nommer les innovations techniques et à trouver des équivalents aux anglicismes.
Dans les milieux parisiano-branchés (pléonasme redondant ?), il est de bon ton de se moquer d’elles. Ne sont-elles pas supposées par principe « ne servir à rien » ? « Etre ringardes » ? N’avancer que des propositions « ridicules » ? A cela près qu’elles défendent contre vents et marées la diversité linguistique, qui est à la culture ce qu’est la biodiversité à l’écologie. Aussi convient-il de leur rendre hommage en rappelant aux distraits une (succincte) sélection de leurs succès :
– « action de groupe » au lieu de « class action »
– « aidant » au lieu de « caregiver »
– « biocarburant » au lieu de « biofuel »
– « intelligence artificielle » au lieu d’« artificial intelligence »
– « mère d’intention » au lieu de « commissioning parent »
– « véhicule hybride » au lieu de « hybrid vehicle »
Qui songerait à remplacer « navette » par « shuttle » ?
Oh, bien sûr, cela ne marche pas à tous les coups, ce serait trop facile. Soutenir qu’ »affaires gelées » a délogé « cold cases » et que « coussin gonflable » a terrassé « airbag » serait flagorner. Il faut également reconnaître que d’autres propositions, sans constituer de véritables échecs, cohabitent de manière plus ou moins confortable avec l’emprunt anglais qu’elles étaient censées bouter hors de l’Hexagone : « courriel » et « e-mail », « mégadonnées » et « big data », « moins-disant » et « dumping », « infox » et « fake news », etc.
Peut-être l’aurez-vous remarqué : il suffit qu’un mot français soit bien installé pour sembler légitime : qui songerait à parler de « shuttle », alors que « navette » est employé couramment ? Le problème est que l’inverse se vérifie aussi. Une fois l’anglicisme installé, c’est lui qui paraît naturel et les tentatives pour le remplacer, artificielles. « En flux » semble avoir autant de chances de chasser « streaming » qu’un mannequin vedette de devenir première ligne dans une équipe de rugby.
D’où l’importance des délais. « Il est essentiel d’arriver suffisamment tôt », souligne Etienne Quillot, chargé de la coordination et du suivi des commissions de terminologie au sein de la délégation générale à la langue française et aux langues de France. Or c’est précisément sur la question du temps que, parfois, le bât blesse. Car les commissions ne se contentent pas de proposer des termes bien de chez nous, elles passent aussi de longues heures à élaborer leurs définitions. Etant composées pour l’essentiel de bénévoles – honneur à eux –, elles se réunissent au mieux une fois par mois. De surcroît, elles ne disposent pas du pouvoir de décision final ; leur mission se limite à transmettre leurs suggestions à la commission d’enrichissement de la langue française – ce qui entraîne des échanges supplémentaires et, parfois, de nombreux allers et retours. Il leur faut encore patienter pour obtenir l’aval de l’Académie française – lequel ne va pas toujours de soi – puis la publication au Journal officiel. Résultat ? Il se passe parfois… plusieurs années entre la trouvaille et sa consécration, période pendant laquelle l’anglicisme que l’on prétend repousser a eu tout le loisir de circuler… « Mieux vaudrait que les commissions se contentent dans un premier temps de proposer un terme français et de le diffuser au plus vite. Les définitions précises pourraient venir ultérieurement », plaide un de ses membres.
Une forme d’autocolonisation typique des groupes culturellement dominés
D’autres règles déterminent le succès ou l’échec de l’entreprise, à commencer par l’emploi de ces créations par une personnalité influente. « A la fin des années 2000, quand un enfant était en situation d’échec scolaire, on disait qu’il était en ‘drop-out’. Les commissions ont proposé ‘décrochage’ et Nicolas Sarkozy, alors président de la République, s’en est sans doute inspiré pour parler des ‘décrocheurs’. Le terme a pris immédiatement », raconte Etienne Quillot. Le même phénomène s’était produit quelques années auparavant, lorsque Laurent Fabius, alors ministre des Affaires étrangères, avait utilisé « zone euro » en lieu et place d’ »Euroland », lequel a disparu assez rapidement.
Aussi est-il est essentiel de convaincre les professionnels en amont, car ceux-ci ont un fort pouvoir prescripteur. « Quand Orange ou Bouygues envoient des messages à leurs clients pour les mettre en garde contre les tentatives d’‘hameçonnage’, cela présente un double avantage, souligne Etienne Quillot. Non seulement, le terme est diffusé auprès de millions de Français, mais les médias ont tendance à le réutiliser. » Le phénomène joue évidemment en sens inverse quand Renault baptise son pôle industriel électrique des Hauts-de-France, « Electricity », ou quand Emmanuel Macron organise – à Brest – un « One Ocean Summit »…
C’est ainsi. Dans un certain nombre de milieux professionnels – la presse, la publicité, la mode, l’informatique, les jeux vidéo, les milieux d’affaires – on est accro au « globish ». Sans se rendre compte qu’il s’agit là d’une forme d’autocolonisation – attitude typique des groupes culturellement dominés. « En adoptant la langue de l’ennemi, les ‘élites’ françaises espèrent en tirer parti sur le plan matériel, ou s’assimiler à lui pour bénéficier symboliquement de son prestige. Ceux qui s’adonnent à ces petits jeux se donnent l’illusion d’être modernes, alors qu’ils ne sont qu’américanisés », cingle sévèrement – mais justement – le linguiste Claude Hagège. « Il arrive que d’éminents représentants de l’Etat jugent par principe qu’un mot français fait vieillot, voire réac », confirme un haut fonctionnaire. En 2018, Françoise Nyssen, alors ministre de la Culture avait ainsi osé lancer, avec l’aval d’Edouard Philippe et d’Emmanuel Macron, un « pass » culture (sans e). Shocking !
On est loin, très loin, de l’exigence du général de Gaulle, qui, en 1962, avait écrit à son ministre des Armées pour se plaindre de la présence excessive de termes anglo-américains dans le domaine militaire. Avec son style inimitable, le fondateur de la Vᵉ République avait exigé que des instructions soient données « pour que les emprunts étrangers soient proscrits chaque fois qu’un vocable français peut être employé ». Avant d’ajouter à la main : « C’est-à-dire dans tous les cas. »
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Faut-il interdire les téléphones portables à la fac ?
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L’écriture inclusive investit l’université
Après s’être introduit dans la communication des facultés, les partisans de l’écriture inclusive l’étendent aux cours et aux examens dans certaines universités.
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L’abc del saber : une revue d’actualité en catalan et en occitan
Il n’existait pas en France de revue où l’on puisse lire en occitan et en catalan des articles traitant des grandes questions d’actualité. Telle est l’ambition de L’abc del saber, qui, sous la houlette de Domenja Lekuona et d’Eric Fraj, propose un site et un magazine destinés à offrir aux amoureux de ces langues « une véritable base pour le savoir et la réflexion ».
Breton, basque, corse, picard… les langues régionales font leur retour au lycée et à la fac
De plus en plus de lycéens et d’étudiants choisissent une langue régionale pour leurs études, voire s’inscrivent en lycée immersif. Qu’ils soient totalement bilingues ou en début d’apprentissage, ils sont unanimes : leur langue fait partie de leurs racines.
Forte demande pour l’enseignement en gascon
Un nouveau site bilingue à la maternelle publique de Soustons ; des cours de physique ou d’histoire‑géographie dispensés en gascon dans les collèges d’Amou et de Saint-Geours-de-Maremne ; ouverture d’une option occitan dans des collèges à Mont-de-Marsan, à Morcenx et à Tartas ; passage de deux à trois heures hebdomadaires à Bidache… Autant de nouveautés annoncées pour la rentrée 2023 dans les Landes et dans le bas Adour (Pyrénées-Atlantiques) qui témoignent d’une réelle et significative demande sociale dans ce domaine, comme le souligne dans un communiqué l’association Gascon Lanas, qui réclame en conséquence davantage de moyens au ministère de l’Education nationale.
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Les écrivains picards à l’honneur
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