DISPARITION – L’historien s’est éteint dimanche à l’âge de 91 ans. Portrait d’un disciple de Raymond Aron qui a bâti une œuvre considérable et inclassable.
«Je suis né rue Guynemer, au coin de la rue de Vaugirard, devant le jardin du Luxembourg, au premier étage, le soir. Ma mère m’attendait pour un peu plus tard.» Quand il évoquait sa naissance et son enfance, on retrouvait chez Alain Besançon le souci du détail, de la vérité, et le talent de plume qui le caractérisaient. Venu au monde en 1932 dans une famille de la bourgeoisie parisienne, fils et petit-fils de médecin, il s’est imposé comme un des grands historiens français du communisme et de la Russie avant de consacrer des ouvrages majeurs au christianisme et à l’histoire de l’art. Son itinéraire intellectuel a été celui d’un homme dont la vie et les travaux se sont nourris mutuellement, celui d’un historien habité par ses sujets d’étude, celui enfin d’un grand érudit qui aura su garder ses distances avec les logiques institutionnelles de l’université.
Étudiant, il rejoint le Parti communiste français en 1951, à une époque où d’autres jeunes historiens se réunissent dans ses cercles intellectuels: Emmanuel Le Roy Ladurie, Annie Kriegel, François Furet. Comme eux, il rend sa carte en 1956 après l’invasion de la Hongrie par l’Union soviétique et la dénonciation des crimes de Staline par Khrouchtchev. Ses convictions sont ébranlées, ses croyances trahies, et le sentiment d’avoir été manipulé ne le quitte pas.
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L’année suivante, en 1957, il est reçu à l’agrégation d’histoire. S’il part enseigner dans le secondaire – à Montpellier, à Tunis, puis à Neuilly -, sa vocation profonde est de chercher, de comprendre le réel. «Par formation et tournure d’esprit, je suis historien. Devant le réel, je me demande: “Comment un tel événement est-il venu à l’existence? Quelle signification lui donner parmi les autres?”», disait-il. La première question qu’il se doit d’éclairer est intime: comment a-t-il pu, lui, être séduit par le communisme? Honteux de ses engagements passés, il écrira dans son autobiographie: «Tout ce temps que j’ai passé sur l’histoire russe et le communisme soviétique, à l’étudier et à l’analyser, j’espère qu’il me sera compté en pénitence.»
Son pardon, beaucoup diront qu’il l’a obtenu. L’apport de ses écrits à la compréhension de l’idéologie communiste et à l’histoire de la Russie soviétique est considérable. Ce aussi parce que ses interrogations partent précisément d’une expérience vécue, explique le philosophe Philippe Raynaud: celle d’un ancien communiste qui s’est rendu en Russie pendant sa thèse, et qui a été viscéralement aux prises avec cette idéologie. On lui doit notamment une enquête magistrale, Les Origines intellectuelles du léninisme, issue de ses travaux de doctorat. Il y explique combien l’idéologie marxiste-léniniste se présente comme une explication totale du monde, comment l’élan révolutionnaire qu’elle charriait a pu convaincre des esprits comme lui, et enfin à quel point la matrice religieuse était importante à la compréhension de cette pensée, qui confiait au régime le soin de veiller au salut des âmes.
Quand il commence ses premiers travaux de recherche, rattaché au CNRS à partir de 1960, Alain Besançon fait la rencontre de Raymond Aron. Il devient un auditeur assidu de son séminaire, où il croise notamment Jean-Claude Casanova et Annie Kriegel. Ils participeront ensemble à la création de Commentaire, «chez lui, rue de Bourgogne», se souvient son ami Jean-Claude Casanova. Elle s’imposera comme la revue phare de la pensée libérale, et Besançon en restera un membre actif jusqu’au bout.
La figure d’Aron est majeure dans sa trajectoire intellectuelle: il le considère comme son maître et s’inscrira dans ses pas en devenant un des grands penseurs du totalitarisme. Toute sa vie durant, il a travaillé en historien sur le phénomène que le philosophe avait contribué à circonscrire. Et, comme lui, Besançon s’engage dans les débats de son temps ; en 1979 il signe notamment la déclaration dénonçant le négationnisme de Robert Faurisson aux côtés de Léon Poliakov et Pierre Vidal-Naquet.
Après avoir quitté le Parti communiste, Alain Besançon rejoint la famille de pensée libérale. «Il est passé directement du côté de la droite», raconte son ami Jean-Pierre Le Goff. Et, cela, «on ne lui a pas pardonné dans certains milieux intellectuels». Alors que François Furet avait lui aussi quitté le PCF tout en écrivant dans Le Nouvel Obs pour rester dans le giron de la gauche, Besançon fait un grand écart ; on peut le lire dans L’Express et dans les pages «Débats» du Figaro. Pourtant, l’historien était tout sauf cataloguable, insiste Jean-Pierre Le Goff. Si beaucoup ont voulu voir en lui un «réac», il était en réalité un centriste libéral et antitotalitaire dans la plus pure tradition aronienne.
Historien du christianisme
La religion a aussi occupé une place centrale dans sa vie. Homme de foi et chercheur soucieux d’éclairer les questions qui l’habitaient au plus profond de son être, Alain Besançon s’est mué en historien du christianisme. «Homme assez indépendant des contraintes académiques et des logiques institutionnelles», il n’a pas hésité à creuser un nouveau sillon, témoigne Philippe Raynaud. Dans ses travaux sur le communisme soviétique, il insistait déjà sur l’importance de la sensibilité et l’intelligence religieuses pour comprendre cette idéologie.
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Il aborde ensuite le sujet de la religion frontalement dans des livres comme Trois tentations dans l’Église (1996), où il analyse l’attitude de l’Église catholique vis-à-vis de la démocratie libérale et de l’islam. Rejeter frontalement la démocratie tout comme «s’y enfoncer complètement» sont des impasses pour l’institution, écrit-il. Grand admirateur de Benoît XVI pour son œuvre de théologien, il a critiqué les orientations prises par le pape François, correspondant pour lui aux «tentations» auxquelles l’Église doit résister. Le sentimentalisme ne doit pas l’emporter sur l’intelligence de la foi ; l’Église ne pas basculer dans une «religion humanitaire», défendait-il. À rebours d’une spiritualité moderne s’accommodant de l’air du temps, Alain Besançon croyait en l’exigence intellectuelle de la théologie. Il était aussi persuadé de l’importance de ce champ de connaissance pour s’orienter dans les débats contemporains.
Car c’était aussi un immense savant, que son ami Philippe Raynaud décrit comme un homme à la «pensée très dense, très personnelle, fondée sur une combinaison originale entre une grande culture historique, un intérêt pour la philosophie et une formation poussée en théologie». Un intellectuel qui s’affranchissait volontiers des frontières académiques et qui a fait ses premières armes dans la psychanalyse avant de tourner le dos à cette discipline. Elle n’était pas, à ses yeux, la plus pertinente pour saisir le réel. Élu en 1996 à l’Académie des sciences morales et politiques, il siégeait d’ailleurs à la section Morale et sociologie dans un premier temps avant de rejoindre la section Philosophie en 1999.
Passion de la vérité
Ses amis restent marqués par sa culture immense, sa grande érudition et sa curiosité insatiable. Il lisait les journaux en italien, a enseigné aux États-Unis – à Columbia, Princeton, Stanford -, et dans le même temps il conservait des liens avec beaucoup de dissidents des pays de l’Est, en Pologne notamment. Sa réputation dépassait de loin les frontières de la France.
Surtout, jusqu’au bout, il est resté un homme à la pensée foncièrement autonome, «un esprit libre comme je n’en ai pas rencontré beaucoup», raconte Jean-Pierre Le Goff. Un historien suivant pour seule boussole sa passion de la vérité, et un homme qui portait haut la valeur de l’amitié.
Chrono
25 avril 1932
Naissance à Paris
1951-1956
Adhérent au Parti communiste français
1957
Agrégation d’histoire.
1977
Publication des Origines intellectuelles du léninisme (Calmann-Lévy)
À partir de 1977
Directeur d’études à l’EHESS.
1996
Publication de Trois tentations dans l’Église (Calmann-Lévy)
1996
Élection à l’Académie des sciences morales et politiques
2018
Publication de Contagions (Les Belles Lettres), regroupant dix de ses œuvres principales
9 juillet 2023
Mort à Paris
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