Vidée de sa substance, la proposition de loi Liot, visant à abroger le recul de l’âge légal de départ à la retraite à 64 ans, n’a pas été soumise au vote jeudi à l’Assemblée nationale. Cet épisode est sans doute le dernier de ce feuilleton sur les retraites.
« En responsabilité, nous avons décidé de retirer notre texte ». Après plus de deux heures d’échanges éruptifs au sein de l’Assemblée nationale, jeudi 8 juin, Bertrand Pancher affiche un visage fermé au moment de prendre la parole. Le patron du petit groupe parlementaire Libertés, indépendants, outre-mer et territoires (Liot) vient de mettre fin à l’initiative de ses députés, visant à abroger le recul de l’âge légal de départ à la retraite à 64 ans.
Les opposants à la réforme des retraites avaient fait de cette proposition de loi l’un de leur dernier espoir pour éviter une application de la réforme au 1er septembre. C’était sans compter sur la majorité, qui a élaboré une stratégie de riposte pour contrer le vote de cette loi, dont elle ne voulait pas. « C’est un coup mortel si cette proposition de loi passe », lâchait il y a quelques jours un poids lourd du camp présidentiel.
Au cœur de la manœuvre : Yaël Braun-Pivet. La présidente de l’Assemblée a fait tomber, dans la soirée de mercredi, l’ensemble des amendements visant à rétablir la suppression de la mesure d’âge, qui avait été retoquée en commission. « La Constitution, rien que la Constitution, le règlement, rien que le règlement : c’est mon rôle et j’aurais aimé que chacun en fasse de même », s’est-elle défendue au perchoir, sous le feu des critiques de l’opposition. Avant même l’ouverture de la séance à 9 heures, les députés insoumis, arrivés groupés, avaient donné le ton. « C’est un coup de force anti-démocratique », s’insurge Mathilde Panot. La cheffe de file de LFI dément tout « baroud d’honneur ». « N’en déplaise aux macronistes, nous allons continuer le combat contre la retraite à 64 ans, nous continuerons jusqu’au bout », assure-t-elle.
A l’entrée de Yaël Braun-Pivet dans l’hémicycle, les députés insoumis refusent de se lever, comme il est d’usage. C’est le président du groupe PCF, André Chassaigne, qui lance le bal des rappels au règlement. « Le choix que vous avez fait porte un coup terrible à notre démocratie parlementaire », dénonce le communiste. « Ce matin, la tristesse l’emporte », embraye le président LFI de la commission des finances, Eric Coquerel. Même mots choisis du côté de l’extrême droite. « Nous sommes confrontés à une rupture démocratique majeure et vous en êtes la responsable », cingle Marine Le Pen. La majorité, elle, fait bloc derrière Yaël Braun-Pivet. « La Constitution et le règlement ont été respectés. Nous vous soutenons », lance le président du groupe Horizons, Laurent Marcangeli, le regard planté dans celui de la présidente de l’Assemblée.
A la tribune, Olivier Dussopt, le ministre du Travail, est contraint de défendre une fois de plus son texte. Comme un remake des débats de février, il vante de nouveau « une réforme qui est allée au bout de son chemin démocratique. » Et attaque l’opposition : « Le bruit et la fureur sont devenus la marque de cette Assemblée, votre marque de fabrique dans cette Assemblée. »
« Vous souhaitez uniquement renverser la table et les institutions. »
Olivier Dussopt, ministre du Travailà la tribune
Dans les couloirs du Palais-Bourbon, l’amertume et la colère sont le lot des oppositions. Et c’est toujours la tenante du perchoir qui est visée : « On dit qu’elle veut être présidente de la République, mais comment elle peut faire ça ?! », s’étranglerait presque un député Liot.
Au contraire, la majorité affiche sa satisfaction. « C’est clairement une victoire pour la majorité », soutient le député Renaissance Marc Ferracci, qui reconnaît volontiers que la partie était loin d’être gagnée. Ce proche du président est d’ailleurs persuadé qu’au moins une partie de l’opinion publique « donnera crédit », un jour, au chef de l’Etat et à la majorité « d’avoir eu le courage de faire cette réforme ». La séance de jeudi ne suscitait d’ailleurs aucune sueur froide au sein du camp présidentiel. « Il n’y a pas de sujet. Il s’est clarifié avec la présidence de l’Assemblée nationale », confiait, juste avant la séance, le député Renaissance Charles Sitzenstuhl. « Cette proposition de loi, c’est un coup d’épée dans l’eau. Ce qui se joue ce matin, c’est du théâtre ».
Mais les événements ont soudain pris une tournure aussi tragique qu’inattendue. Vers 10h30, les premières alertes tombent sur les téléphones portables : une attaque à l’arme blanche a eu lieu à Annecy (Haute-Savoie), faisant plusieurs blessés graves, dont des enfants. La présidente de l’Assemblée décrète une minute de silence dans l’hémicycle en soutien aux victimes.
Attaque au couteau à Annecy : l’Assemblée nationale observe une minute de silence en hommage aux victimes. #Annecy #DirectAN pic.twitter.com/FQbJtYypXC
— LCP (@LCP) June 8, 2023
Dans les couloirs du Palais-Bourbon, la nouvelle laisse les députés en état de choc et chacun exprime désormais sa solidarité à l’égard des victimes. Quelques instants plus tard, la présidente du groupe Renaissance, Aurore Bergé, entourée des députés de Haute-Savoie, lie les deux événements. « Etre en ce moment dans l’hémicycle avec une espèce de bataille de chiffonniers sur une recevabilité ou non d’amendements nous paraît en total décalage par rapport à l’effroi qui submerge notre pays », assure-t-elle. Cinq minutes après cette déclaration, Bertrand Pancher et les députés Liot annoncent qu’ils retirent leur texte. « Il ne reste plus rien de ce texte, sauf les quelques amendements que la minorité présidentielle s’est gardée, livre-t-il. Nous n’allons pas nous ridiculiser à poursuivre ce débat. »
La Nupes, de son côté, ne compte pas en rester là. Quelques minutes après la fin des débats, l’alliance de gauche a fait savoir qu’elle déposerait une motion de censure contre le gouvernement. Elle devrait être examinée en début de semaine prochaine à l’Assemblée nationale, selon la patronne du groupe LFI, Mathilde Panot.
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