Retrait du Burkina Faso, du Mali et du Niger de la Cedeao : décryptage des enjeux securitaires

Retrait du Burkina Faso, du Mali et du Niger de la Cedeao : décryptage des enjeux securitaires
Retrait du Burkina Faso, du Mali et du Niger de la Cedeao : décryptage des enjeux securitaires

_Le 28 janvier, le Burkina Faso, le Mali et le Niger ont annoncé leur retrait de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao). Environ quatre mois plus tôt, ces trois pays avaient créé l’Alliance des États du Sahel (AES), un pacte de défense mutuelle intervenu dans un contexte où la Cedeao menaçait de mener une opération militaire au Niger après le coup d’État de juillet 2023.

_Depuis quelques années, ces trois pays frontaliers et enclavés avec de larges superficies, font face à une grave crise humanitaire. En peu de temps, ils se sont retirés de deux organisations sous-régionales : la Cedeao et le G5 Sahel. Moda Dieng est chercheur sur les questions de paix au Sahel et en Afrique de l’Ouest. Il explique à The Conversation Afrique les causes et les conséquences de ce retrait sur la paix et la sécurité dans la sous-région. _

Quelles sont les raisons qui ont motivé la décision de retrait de la Cedeao?

Le choix du Burkina Faso, du Mali et du Niger de se séparer de la Cedeao semble avoir été influencé par l’intérêt commun des régimes militaires de prolonger leur pouvoir. Selon l’article 91 du Traité portant création de la Cedeao, l’État membre qui a formalisé sa décision de se retirer de l’organisation par écrit dans un délai d’un an, est tenu de se conformer aux dispositions dudit traité et de s’acquitter des obligations qui lui incombent.

En annonçant leur retrait de la Cedeao, les pays de l’Alliance des États du Sahel ont pris le soin de préciser que la décision prend effet immédiatement. En disant cela, les pouvoirs militaires veulent que les engagements pris avec l’organisation sous-régionale sur les délais des transitions ne tiennent plus et qu’ils ne sont plus obligés de faire des promesses sur l’organisation des élections. Ce qui leur donne la latitude de se maintenir au pouvoir.

Un État qui considère que le regroupement interétatique dont il est membre ne répond pas à ses préoccupations, aura tendance à le contourner en agissant en dehors de l’architecture existante, ou en mettant en place un nouveau régime avec des objectifs, des règles et des structures.

La décision des pays de l’AES de se retirer de la Cedeao traduit une insatisfaction par rapport à l’organisation sous-régionale qui n’a pu répondre à leurs attentes dans la lutte contre les groupes terroristes.

En janvier 2013, la Cedeao avait déployé la Mission internationale de soutien au Mali (Misma) pour aider l’armée malienne à se reconstituer et combattre les groupes terroristes dans le nord du pays, mais l’opération n’a pas été un succès. Au mois de mars de la même année, la Misma passe sous l’autorité de l’Union africaine, avant d’être remplacée par la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au Mali (Minusma) à partir du 1er juillet.

Le Plan d’action de 2,3 milliards de dollars US sur quatre ans (2020-2024) adopté par la Cedeao en 2019 pour prévenir et lutter contre le terrorisme et les conflits intercommunautaires au Sahel n’a pas non plus donné de résultats satisfaisants. Ce plan piétine du fait du manque de ressources et de la réticence des États sahéliens qui doutent de la pertinence d’une énième initiative régionale, mais aussi de la capacité de la Cedeao à combattre les menaces.

La Cedeao est-elle une victime collatérale?

Les lourdes sanctions de la Cedeao contre le Mali à la suite du coup d’État de mai 2021 et plus récemment contre le Niger depuis le putsch de juillet 2023 semblent également avoir joué un rôle dans la décision de ces pays de cesser d’être membres de l’organisation. Les sanctions ainsi que la velléité d’intervention militaire de la Cedeao au Niger ont considérablement contribué à la dégradation des relations entre les trois pays du Sahel central et l’organisation ouest-africaine.

Dans ces pays, il y aussi une opinion répandue selon laquelle la France était derrière ces sanctions, aidée en cela par ses partenaires clés comme la Côte d’Ivoire et le Sénégal. De ce point de vue, le retrait des pays de l’AES de la Cedeao s’avère être un dommage collatéral qui résulte à la fois des sanctions et de la détérioration de leurs relations avec la France, mais aussi entre certains membres de l’organisation – entre le Mali et la Côte d’Ivoire.

Quels sont les impacts prévisibles en termes de sécurité et de stabilité ?

La région du Sahel vit une situation paradoxale. Alors que les conditions sécuritaires se dégradent de jour en jour, la coopération à l’échelle régionale et internationale s’affaisse. À la différence d’autres acteurs, la Cedeao n’est pas engagée dans la lutte contre l’insécurité liée aux organisations terroristes dans la région. En mettant fin à leur participation à l’organisation en tant que membres, le Burkina Faso, le Mali et le Niger n’auront donc pas un vide à combler ou qui pourrait être exploité par les groupes armés.

En revanche, l’engagement de la Cedeao pour la stabilité politique a été crucial, parce qu’il participe indirectement à la lutte contre l’insécurité. Les changements abrupts de régimes politiques, et de manière anticonstitutionnelle de surcroît, fragilisent les institutions de l’État censées combattre l’insécurité. Au Sahel, l’insécurité devient croissante et finit par installer les pays dans un cercle vicieux : plus les conditions de sécurité se détériorent plus le risque de putsch devient élevé. Les coups d’État deviennent plus attractifs, d’autant plus que les pays ne sont plus membres d’une organisation sous-régionale ayant des dispositifs importants contre les coups d’État.

Avec quels mécanismes les trois pays peuvent-ils renforcer la lutte contre l’insécurité après leur retrait de la Cedeao?

En raison de l’inertie de la Cedeao face à la menace terroriste et de l’échec du G5 Sahel et de sa force conjointe, les pays du Sahel central ne croient plus en la capacité de l’approche multilatérale traditionnelle à répondre aux défis sécuritaires dans la région. L’ampleur des menaces sécuritaires au Sahel et leur complexité nécessite un engagement substantiel des pays directement affectés, avec beaucoup de créativité et de flexibilité pour des réponses coordonnées.

Le Burkina Faso, le Mali et le Niger s’appuient de plus en plus sur des initiatives individuelles, bilatérales et trilatérales, qu’ils considèrent plus pragmatiques et moins coûteuses en ressources financières. La collaboration croissante entre ces trois pays et entre certains d’entre eux (Burkina Faso et Niger) avec la Russie à travers des accord de coopération s’inscrivent dans cette perspective.

Les pouvoirs militaires dans les pays de l’AES devraient privilégier le long terme et avoir une vision plus large de la paix et de la sécurité. En dépit de ses faiblesses, la Cedeao demeure un indispensable outil de stabilisation, d’intégration et de développement.

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