Selon l’ONU, les personnes ayant une déficience intellectuelle sont exploitées au Canada

Selon l’ONU, les personnes ayant une déficience intellectuelle sont exploitées au Canada
Selon l’ONU, les personnes ayant une déficience intellectuelle sont exploitées au Canada

Le Canada a récemment été blâmé par Tomoya Obokata, le Rapporteur spécial des Nations unies sur les formes contemporaines d’esclavage. En cause ? Les manquements de ses programmes d’immigration économique.

Toutefois, cela n’était pas le seul reproche que le Rapporteur spécial avait à formuler : les conditions dans lesquelles travaillent des personnes ayant une déficience intellectuelle ont également attiré son attention.

En tant que chercheur sur les questions touchant la sécurité financière et l’emploi des personnes en situation de handicap, et personne travaillant dans le domaine des politiques publiques, je vous propose un éclairage sur une pratique controversée, mais encore répandue au Canada : les plateaux de travail.

Que sont les plateaux de travail ?

Relativement inconnus du grand public, les plateaux de travail en déficience intellectuelle sont un legs historique de la ségrégation et de l’exploitation qu’ont connues ces personnes, partout en Amérique du Nord. Contrairement à l’institutionnalisation, qui a relativement reculé, les plateaux de travail sont encore bien en vie, malgré les appels répétés à leur fermeture tant au Canada qu’au Québec.

Les plateaux de travail sont généralement caractérisés comme étant des programmes dans lesquels :

– des personnes ayant un handicap (particulièrement celles ayant une déficience intellectuelle) sont rassemblées, sans être mélangées avec des personnes n’étant pas en situation de handicap ;

– ces personnes fournissent une forme de travail sans être rémunérées ou en recevant un montant forfaitaire (quelques dollars par jour) ;

– les différentes lois et normes du travail ne s’appliquent pas, incluant les normes sur le salaire minimum.

Historiquement, l’objectif de ces programmes était avant tout de former des personnes très éloignées du milieu de travail dans un contexte plus propice. Le raisonnement était que si l’on amenait ces personnes à effectuer des tâches répétitives dans un environnement non compétitif et plus « protégé » du reste de la société, elles finiraient par développer des aptitudes de travail pour peut-être éventuellement intégrer le marché régulier de l’emploi.

Toutefois, loin de favoriser l’inclusion en emploi, la participation qui était à la base temporaire devient bien souvent permanente, ce qui soulève des questions éthiques, politiques et sociales sur la pratique.

Des programmes utilisés partout au Canada

Dans un rapport de recherche publié en 2022, l’Institut de recherche et de développement sur l’inclusion et la société dressait l’état de la situation entourant les plateaux de travail au Canada. Toutes les provinces étudiées (Ontario, Colombie-Britannique, Nouvelle-Écosse, Québec, Territoires du Nord-Ouest) avaient des plateaux de travail dans lesquels des personnes fournissaient une prestation de travail sans recevoir de juste compensation.

Pire, dans bien des cas, la participation de ces personnes aux plateaux de travail pouvait se compter en années, voire en dizaines d’années. Loin d’une mesure temporaire, les plateaux de travail sont devenus à la fois une source de financement pour des organismes qui reçoivent des subventions gouvernementales, mais aussi une forme de répit pour des familles qui manquent cruellement de services.

Il est très difficile, voire impossible, de savoir exactement combien de personnes ayant une déficience intellectuelle sont dans des plateaux de travail au Canada (les statistiques étant difficiles à trouver, ou tout simplement inexistantes). Toutefois, comme le Québec publie des données financières et démographiques à jour, il est possible d’étudier le cas de cette province.

Le cas du Québec

Le Québec a divisé ses programmes d’employabilité pour les personnes en situation de handicap entre le ministère de l’Emploi et de la Solidarité sociale (MESS) et le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS). En théorie, le MSSS s’occupe des personnes en situation de handicap jugées « plus loin du marché du travail », alors que le MESSS s’occupe des personnes étant plus prêtes à l’emploi.

Cependant, dans les faits, ce que les organismes communautaires sur le terrain rapportent, et ce que la recherche en cours semble faire émerger (données préliminaires), est qu’un nombre important de personnes qui devraient se trouver dans les services du MESS finissent dans des plateaux de travail. Le rapport du Vérificateur général du Québec sur l’employabilité des jeunes en situation de handicap dresse un portrait de la situation.

Ultimement, le ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec continue de financer très largement les plateaux de travail dans la province.

Entre 2013-2014 et 2020-2021, ce ne sont pas moins de 165M$ de fonds publics qui ont été investis dans ces programmes.

Une autre raison pouvant expliquer la prévalence des plateaux de travail au Québec est le fait que les prestataires du Programme de solidarité sociale n’ont pas de droit de travailler pour plus que 200$ par mois.


À lire aussi : Au Québec, comme ailleurs au Canada, les programmes d’assistance sociale sont des « trappes à pauvreté »


En effet, le fait que le chèque d’assistance sociale soit coupé dollar pour dollar passé cette limite est souvent évoqué comme justification pour ne pas payer les personnes participant aux plateaux de travail.

Quelles pistes pour le futur des plateaux de travail au Canada ?

Quelles sont donc les pistes pour s’assurer que les droits des personnes participant à des plateaux de travail soient respectés ?

Plusieurs organisations plaident pour un meilleur encadrement des plateaux de travail. Un premier pas serait d’avoir des objectifs clairs de formation et une durée de participation limitée dans le temps, afin de s’assurer que ces programmes répondent réellement à un besoin de développement de compétences professionnelles et sociales.

De plus, les législations provinciales et territoriales devraient être mises à jour afin de garantir que toutes les personnes en situation de handicap bénéficient des mêmes droits que le reste de la population.

Par ailleurs, à terme, les gouvernements devraient rediriger les fonds publics utilisés pour les plateaux vers des programmes d’embauche inclusive (comme cela a été fait au Nouveau-Brunswick, par exemple) et vers des activités stimulantes pour les adultes en situation de handicap partout au Canada. Les organisations communautaires qui donnent du répit aux familles et créent ces espaces de socialisation et d’apprentissage devraient également recevoir un juste financement, afin de ne pas générer davantage de drames humains pour des organismes déjà largement sous-financés.

D’autres mesures sont cruciales, comme s’assurer que les programmes d’assistance sociale autorisent les prestataires à travailler, ne serait-ce qu’à temps partiel. Le nouveau Programme de revenu de base entré en vigueur en 2023 au Québec est un bon exemple de changement positif en la matière, puisqu’il permet aux prestataires de travailler à temps partiel. D’autres provinces, comme la Colombie-Britannique et l’Ontario, ont également commencé à rendre les règles de leurs programmes plus flexibles, mais il reste encore beaucoup de chemin à faire.

Autre aspect important : il faut s’assurer de la mise en place d’une réelle transition planifiée entre l’école et la vie active des jeunes adultes en situation de handicap. Les provinces ayant travaillé sur ce dernier point, comme le Nouveau-Brunswick, ont démontré qu’une transition bien réalisée peut être grandement bénéfique pour l’ensemble de la population. Et bien que le Québec ait son propre programme de transition école-vie active (TEVA), le programme se limite encore à des « guides » dont la mise en place reste largement laissée à la bonne volonté des directions d’école, notamment faute d’une « structure interministérielle clairement définie » et d’obligations claires.

Le Canada doit respecter ses obligations internationales

La situation est telle que de plus en plus d’organisations au Canada (dont Inclusion Canada et People First of Canada, les deux plus grandes organisations représentant les personnes ayant une déficience intellectuelle au Canada), qualifient la participation de personnes ayant une déficience intellectuelle dans les plateaux de travail comme étant de « l’exploitation ».

Si l’on en croit les différentes organisations de défense des droits, le Canada violerait donc ses obligations internationales. En effet, la Convention relative aux droits des personnes handicapées proscrit explicitement l’exploitation des personnes en situation de handicap (art. 16), et fait plutôt la promotion du droit à l’emploi et au travail sur la base de l’égalité avec les autres travailleurs et travailleuses (art. 27).

Il est plus que temps que le terme « travail » ne soit plus synonyme d’« exploitation » pour les personnes ayant une déficience intellectuelle partout au pays.

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