Stéréotypes de genre dans le football français, les défis des médias pour les jeunes

Stéréotypes de genre dans le football français, les défis des médias pour les jeunes
Stéréotypes de genre dans le football français, les défis des médias pour les jeunes

En 2022, le Baromètre national des pratiques sportives de l’Institut national de la Jeunesse et de l’éducation populaire indiquait que 60 % des Françaises et Français de 15 ans et plus affirmaient avoir pratiqué au cours de l’année écoulée une activité physique et sportive régulière. Cette hausse est fortement portée par la pratique féminine : 58 % des femmes pratiquent une activité sportive en moyenne au moins une fois par semaine, soit 7 points de plus qu’en 2018. L’écart entre hommes et femmes s’est ainsi réduit, passant de 6 à 4 points.

Il n’en demeure pas moins que cet écart persiste de façon prononcée dans certaines disciplines : la Fédération française de football (FFF) comptabilisait seulement 157 761 joueuses pour 2 124 335 licenciés lors de la saison 2019-2020, malgré un plan fédéral de féminisation impulsé en 2011. Axe prioritaire de la FFF sur la période 2012-2016, celui-ci visait à féminiser le football à tous les niveaux, sur et en dehors du terrain.

Parmi les nombreuses pistes explicatives à la lenteur de la féminisation du football français, les médias, et spécialement ceux destinés aux plus jeunes, ont retenu notre attention car ils sont aujourd’hui des acteurs majeurs de la diffusion du sport et de la visibilité du sport dit féminin.

Les médias, acteur important de la socialisation sportive des jeunes

Le lien mécanique entre médiatisation et massification/démocratisation de la pratique sportive, pourtant rarement mis à l’épreuve des faits, reste tenace dans notre société.

Un exemple parmi d’autres : en 2019, la ministre des Sports Laura Flessel avait déclaré durant la Coupe du Monde féminine de football qu’elle espérait que la médiatisation de la compétition « donne envie à beaucoup de Françaises, et notamment des jeunes filles, de chausser les crampons et de rejoindre les garçons sur le terrain ».

En considérant la capacité des médias à octroyer une place plus ou moins importante à certains contenus, à privilégier et légitimer des cadres d’intelligibilité, des normes ou des modèles de conduite spécifiques et, en creux, à passer sous silence ou disqualifier certaines pratiques et visions du monde, il semble pertinent d’analyser leur rôle dans la socialisation sportive des jeunes.

Composé d’une dizaine d’enseignants-chercheurs aux ancrages disciplinaires distincts (histoire, sociologie, sciences du langage, sciences de l’information et de la communication), le Collectif MediSJeu (pour mediatisation du sport et socialisation sportive des jeunes) s’est donné pour objectif, dans le cadre d’un programme de recherches étalé sur une dizaine d’années, de répondre à deux questions : dans quelle mesure les médias, en diffusant à grande échelle des modèles de sportivité, participent-ils de la construction des (dé) goûts, du développement de dispositions ou non pour le sport ? Et dans quelle mesure amènent-ils un jeune à admirer ou à stigmatiser d’autres jeunes pratiquant une activité sportive, à s’en auto-exclure, à se forcer à la pratiquer ou à l’abandonner ?

Une couverture de l’activité sportive déséquilibrée

Nous avons effectué un examen détaillé de la couverture et du traitement médiatique des joueuses et joueurs des équipes de France de football lors des six dernières Coupes du Monde, féminines et masculines confondues (2010 à 2019), sur l’intégralité d’un corpus reconstitué (n=1 440 numéros) d’un titre de la presse écrite dite « jeunesse » destiné aux 6-10 ans, Le Petit Quotidien, largement diffusé dans les écoles françaises.

Les premiers résultats montrent que le sport, pratique culturelle pourtant bien installée dans la population française, n’occupe qu’environ 7 % de la surface rédactionnelle, et est majoritairement traité sous forme d’images, souvent relégué en troisième page et dans des formats inférieurs ou égaux au quart de page.

Surtout, en dépit du fait que les jeunes lectrices sont tenues de s’investir dans l’éducation physique à l’école, sont de plus en plus nombreuses à être licenciées dans un club entre 6 et 12 ans et considèrent les jeux sportifs comme l’un de leurs loisirs préférés, le journal construit le sport comme un loisir « masculin ».

En effet, les filles sont concernées par moins de 10 % des articles sportifs, moins souvent présentes en couverture, généralement cantonnées aux dernières pages, rarement représentées seules dans des formats écrits ou de grande taille, et assignées aux articles courts, sans fond ou seulement illustrés par « l’être féminin », c’est-à-dire que ce qui est considéré comme faisant la femme est souvent réduit à l’« être perçu ». Les sportives – sans être complètement oubliées – restent ainsi littéralement reléguées au second plan.

Résultat d’une recherche Google Images sur la requête « Petit Quotidien » + « foot ».

Dans un second temps, nous avons analysé les contenus visuels du quotidien relatifs aux équipes de France de football : dans près de 90 % des cas, les photos ne sont pas mixtes et mettent en scène des hommes dans plus de 85 % des visuels étudiés. Cette domination se poursuit lorsque l’on observe la répartition des hommes et des femmes dans les différents plans photographiques. Au premier plan figurent des hommes seuls (83 % vs 6 % pour les femmes) tandis qu’au second plan, les chiffres sont divisés par deux pour les hommes et par trois pour les femmes (48 % d’hommes vs 2 % de femmes).

Le 24 juin 2023, peu avant le début de la Coupe du Monde, le Petit Quotidien, pour son n°7195, consacre exceptionnellement sa couverture à l’équipe de France féminine de football. Le Petit Quotidien

Pour alourdir encore davantage ce constat, il convient de noter que, quand les femmes sont au premier plan, elles sont le plus souvent accompagnées d’hommes au second plan, contribuant ainsi à construire l’image d’un sport féminin encadré, analysé et régi par des hommes.

Un choix d’illustrations qui n’est pas neutre

Les photographies relatives aux Coupes du Monde de football utilisent la plupart du temps un cadrage resserré, c’est-à-dire lorsque le personnage occupe toute la hauteur ou la largeur au minimum (45 % du volume) ou normal, lorsque le personnage occupe la moitié de la hauteur ou de la largeur (37 % du volume).

Le retrait des éléments de contexte peut être considéré comme un levier visant à faciliter la lecture du jeune public, mais il pose dans le même temps la question du message envoyé à propos du football : de tels effets de zoom sur un ou quelques joueurs en particulier participent du processus d’individualisation et de vedettisation des joueurs et des joueuses, conduisant à la surreprésentation des champions et à la sous-représentation des championnes, et valorisant un champion dans le cadre d’actions décisives (Mbappé, Pogba, Griezmann, par exemple) au détriment d’une équipe.

Au final, le traitement médiatique des joueuses et joueurs des équipes de France de football dans le quotidien étudié n’est pas « neutre » et nos résultats confirment pour la presse écrite jeunesse les constats produits par ailleurs (presse écrite généraliste, presse écrite spécialisée, télévision, etc.). D’après le sociologue du sport Nicolas Delorme, la rédaction de L’Équipe, unique quotidien sportif généraliste français, a délibérément choisi de privilégier le sport masculin au sport féminin, les hommes représentant 82 % du lectorat du journal.

Certes, l’appropriation des messages médiatiques n’est ni immédiate ni systématique, mais relève d’une socialisation complexe et continue, qu’il convient de penser dans l’articulation aux autres agents socialisateurs (famille, école, club, etc.). Il n’en demeure pas moins que les médias doivent être pensés et analysés comme une instance de socialisation puissante : ils peuvent permettre d’ouvrir le champ des possibles, susciter l’admiration voire des vocations, ils participent également d’un processus plus large de stigmatisation/discrimination chez les jeunes lectrices et lecteurs.

On mesure dès lors combien les enjeux sont d’importance pour la Coupe du Monde féminine de football 2023. En renforçant la place des footballeuses dans les contenus proposés et en érigeant des « rôles modèles » pour des millions de jeunes filles, les médias pourraient contribuer à permettre à la jeunesse de se projeter dans des sports que les unes et les autres s’imaginent encore trop sexués, voire ségrégués.

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