Un confetti sur la frontière : le pays Quint, minuscule territoire basque que se partagent la France et l’Espagne

Un confetti sur la frontière : le pays Quint, minuscule territoire basque que se partagent la France et l’Espagne
Un confetti sur la frontière : le pays Quint, minuscule territoire basque que se partagent la France et l’Espagne

« Une carte n’est pas le territoire. » On comprend mieux l’assertion du philosophe polonais Alfred Korzybski quand on essaie de saisir ce qu’est le pays Quint, cette zone de montagne qui s’appelle aussi Kintoa en basque et Quinto Real en castillan. Sur Internet, vous n’en trouverez pas de contours plus précis que dans l’infographie ci-dessous.

Le pays Quint est une zone de montagne sur les territoires français et espagnol.
Le pays Quint est une zone de montagne sur les territoires français et espagnol.

Infographie « Sud Ouest »

Même sur l’application cartographique du plus puissant moteur de recherche du monde, ses limites n’apparaissent pas, du moins pas encore en août 2023 : le petit cercle rouge censé y matérialiser le Quinto Real n’entoure que deux casernes à l’abandon en bord de route, et cela ne représente qu’une parcelle de ce « petit pays » qui échappe donc à l’omniscience numérique de la Silicon Valley.

Un cas unique

Le pays Quint est une curiosité administrative, un morceau de Pyrénées dont le destin a été tracé à la règle par des diplomates des siècles d’avant, soulignant sans le savoir quelque chose comme la vanité de vouloir découper le monde. Pour faire simple : la zone d’une superficie de 2 510 hectares qui touche la frontière française, le pays Quint dit « septentrional », fait partie de l’Espagne mais se trouve…

« Une carte n’est pas le territoire. » On comprend mieux l’assertion du philosophe polonais Alfred Korzybski quand on essaie de saisir ce qu’est le pays Quint, cette zone de montagne qui s’appelle aussi Kintoa en basque et Quinto Real en castillan. Sur Internet, vous n’en trouverez pas de contours plus précis que dans l’infographie ci-dessous.

Le pays Quint est une zone de montagne sur les territoires français et espagnol.
Le pays Quint est une zone de montagne sur les territoires français et espagnol.

Infographie « Sud Ouest »

Même sur l’application cartographique du plus puissant moteur de recherche du monde, ses limites n’apparaissent pas, du moins pas encore en août 2023 : le petit cercle rouge censé y matérialiser le Quinto Real n’entoure que deux casernes à l’abandon en bord de route, et cela ne représente qu’une parcelle de ce « petit pays » qui échappe donc à l’omniscience numérique de la Silicon Valley.

Un cas unique

Le pays Quint est une curiosité administrative, un morceau de Pyrénées dont le destin a été tracé à la règle par des diplomates des siècles d’avant, soulignant sans le savoir quelque chose comme la vanité de vouloir découper le monde. Pour faire simple : la zone d’une superficie de 2 510 hectares qui touche la frontière française, le pays Quint dit « septentrional », fait partie de l’Espagne mais se trouve sous administration française. Les impôts fonciers et la gendarmerie, en l’occurrence la Guardia Civil, c’est l’Espagne. Tout le reste, c’est la France : les impôts sur le revenu, la poste, les télécommunications, l’eau, l’électricité, l’école, la voirie, mais aussi les droits civiques et la citoyenneté, donc les élections. Un peu comme si le royaume d’Espagne avait la nue-propriété de ce territoire indivis et que la République française en avait l’usufruit à perpétuité, moyennant un versement annuel de l’ordre de 60 000 euros, d’État à État.

La bâtisse blanche qu’on aperçoit à gauche est l’actuelle venta Baztan, située à la frontière, côté espagnol.
La bâtisse blanche qu’on aperçoit à gauche est l’actuelle venta Baztan, située à la frontière, côté espagnol.

Nicolas Mollo

Celles et ceux qui habitent là vivent en territoire espagnol, dans la province de Navarre, mais relèvent de la commune française d’Urepel et du département des Pyrénées-Atlantiques. Quand il neige, c’est la municipalité d’Urepel qui assure le déneigement. La situation du Kintoa fait partie des « cas particuliers » de la frontière entre la France et l’Espagne, comme celle de l’île des Faisans, sur la Bidassoa, que les deux pays gouvernent à tour de rôle pour une durée de six mois, ou celle du village catalan de Llívia, enclave espagnole dans les Pyrénées-Orientales. Ici, la spécificité territoriale remonte à un traité de 1856, signé pour régler des différends entre bergers.

Avant de passer le témoin à Xole Aire en 2020, Michel Ernaga a administré le pays Quint septentrional pendant douze ans au titre de maire d’Urepel.
Avant de passer le témoin à Xole Aire en 2020, Michel Ernaga a administré le pays Quint septentrional pendant douze ans au titre de maire d’Urepel.

Nicolas Mollo

Maire d’Urepel de 2008 à 2020, Michel Ernaga nous accueille dans son salon, un tas de documents posés sur la table. On lui prête une feuille de cahier et un stylo-bille, avec lesquels il va dessiner l’histoire du pays Quint au fur et à mesure qu’il la raconte. À la fin de son récit, la page couverte de cercles et de traits en dira long : ratures et palimpseste. « Au Moyen Âge, commence l’ancien édile, alors que la France et l’Espagne n’existaient pas encore, le terme de pays Quint désignait une immense zone de pâturage, un territoire indivis un peu flou du royaume de Navarre, que se partageaient les paroisses d’Erro au sud, de Roncevaux à l’est, de la vallée de Baztan à l’ouest et de Baïgorry au nord. » Un territoire beaucoup plus étendu que le pays Quint dans son acception actuelle : il incluait alors toute la vallée des Aldudes, composée aujourd’hui des trois communes de Banca, Aldudes et Urepel. La couronne de Navarre prélevait 20 % des productions des paysans du coin : ce « cinquième royal », « quinto real » en espagnol, a donné son nom au pays Quint. Sans aucun lien, donc, avec l’empereur Charles Quint.

« Il y a eu beaucoup de conflits »

« Les bergers de toutes ces zones venaient ici pour le pâturage des bêtes, reprend Michel Ernaga. Au fil des siècles, il y a eu beaucoup de conflits entre les différentes communautés, les unes amenant leurs troupeaux trop loin au goût des autres, et inversement… »

Sur le même sujet

Notons au passage que, si l’on croise aujourd’hui beaucoup de vaches et de brebis, ce sont surtout les cochons qu’on élevait au Moyen Âge, et que le porc dit « Kintoa » est devenu un produit sous appellation d’origine protégée (AOP). Revenons à nos moutons : en vertu du droit coutumier basque, les aînés concentraient l’héritage. Aussi des « cadets de Baïgorry », privés de terres, sont-ils venus petit à petit peupler ces zones peu habitées, sans y être autorisés. « Il y a eu des tensions entre la communauté de Saint-Étienne-de-Baïgorry et les cadets, mais aussi des conflits multiples entre les différentes seigneuries locales. »

D’un côté, la France ; de l’autre, l’Espagne ; des deux côtés, des Basques.

En 1785, le traité d’Elizondo, issu des travaux du comte d’Ornano, envoyé par Paris, et de son alter ego espagnol, Ventura Caro, établit en pays Quint une frontière qui, contrairement à ce qui se passe ailleurs dans les Pyrénées, s’affranchit de la ligne de crête et trace deux lignes droites coupant les zones de pâturage. C’est cette frontière rectiligne qui est encore en vigueur de nos jours. « Seulement, les paysans ont continué à conduire leurs troupeaux où ils en avaient l’habitude, raconte « Mixel » Ernaga. Il y a encore eu des échauffourées pendant des décennies. Il y a même eu des morts, c’était sérieux. Il a fallu attendre 1856 pour que le problème soit réglé. On a délimité à ce moment-là une zone appelée pays Quint, où les troupeaux des bergers français avaient le droit de venir comme avant.

Sur le même sujet

Mais les Espagnols ont réussi à extraire de cet accord une zone comprenant le plateau de Sorogain, où le pâturage était le meilleur. » Cette partie est devenue le pays Quint méridional. Il est toujours accessible, moyennant finances, aux éleveurs des Aldudes, à condition qu’ils marquent leurs bêtes au fer rouge de la « marque d’Urepel ».

Un verre chez Palla

Tout cela figure dans un traité signé à Bayonne le 2 décembre 1856, dont Sylviane Erreca garde une photocopie. « C’est un traité de paix, c’est cela qu’il faut retenir », nous dit-elle d’emblée, avant de nous faire découvrir son pays Quint natal. Sylviane s’y connaît mieux que la Silicon Valley et ses vues satellites. Son nom signifie « ruisseau » en basque. Elle est née ici en 1957, et elle est l’une des rares à pouvoir encore s’en prévaloir : la dernière naissance en pays Quint remonterait à 1959. Elle nous a donné rendez-vous dans le bourg d’Urepel, qu’elle a rejoint à pied depuis chez elle. Elle monte dans notre voiture et nous guide sur la départementale 58, qui s’élève au-dessus des Aldudes. Pour les gens d’ici, c’est la « route de Pampelune » : la capitale navarraise, située à 50 kilomètres, est plus proche que Bayonne. Après dix minutes de route, passé le hameau d’Esnazu, un panneau marque l’entrée en Espagne, juste avant le premier commerce frontalier, la venta Baztan, et une station-service.

Dans ce qui fut pendant des décennies la venta de ses grands-parents, Sylviane conserve cartes et documents sur l’histoire du pays Quint.
Dans ce qui fut pendant des décennies la venta de ses grands-parents, Sylviane conserve cartes et documents sur l’histoire du pays Quint.

Nicolas Mollo

Sylviane nous fait arrêter sur la frontière, où paissent des vaches blondes. De l’index, notre hôte désigne les crêtes, en partie cachées par le ciel gris, et la ligne de partage des eaux. Une courbe accidentée, qui suit ce relief façonné par une collision tectonique il y a quarante millions d’années et qui délimite dans l’esprit le pays Quint. Et puis elle nous dessine d’un geste tranchant la frontière inter-États : une ligne droite qui ne tient pas compte du relief. Il faut l’imaginer, bien sûr. Car, à moins de marcher de borne en borne, c’est une ligne invisible, sans autre consistance qu’administrative, qui coupe en deux ce paysage d’une beauté confondante. La carte, le territoire. D’un côté, la France ; de l’autre, l’Espagne ; des deux côtés, des Basques.

« Je suis née ici et je suis allée à l’école à Urepel, raconte Sylviane. Le téléphone, on a dû l’avoir quand j’avais 16 ou 17 ans »

On quitte la route principale pour une voie en zigzag bordée de hêtres et de châtaigniers. Il n’y a qu’une petite dizaine de maisons en Pays Quint septentrional, souvent inhabitées. Sylviane et son mari Xabi Ihidope occupent la maison Palla, et c’est le nom sous lequel on les désigne, comme c’est l’usage dans beaucoup de coins de montagne. « Mes grands-parents tenaient ici une venta », raconte la native des lieux en nous faisant garer dans sa cour. Si le pays Quint est pour l’essentiel un indivis, les six « fermes ancestrales », déjà bâties au moment du traité de Bayonne, jouissent de terrains privés et ont toutes conservé une activité agricole.

Quand la frontière se referme

« Je suis née ici et je suis allée à l’école à Urepel, raconte Sylviane. Le téléphone, on a dû l’avoir quand j’avais 16 ou 17 ans. Avant la mort de Franco (en 1975, NDLR), on avait beaucoup de contrôles. » Son grand-père Bernard – « aitatxi Beñardo », se souvient-elle – produisait sa propre électricité avec un dispositif hydroélectrique sur le cours d’eau voisin nommé Zubiondoko erreka.

Même si l’activité a cessé depuis trente ans, le bar a été conservé à l’identique, avec la photo des grands-parents Marie et Bernard.
Même si l’activité a cessé depuis trente ans, le bar a été conservé à l’identique, avec la photo des grands-parents Marie et Bernard.

Nicolas Mollo

Si la venta est fermée depuis des décennies, le couple a gardé les lieux en l’état : le comptoir à l’ancienne, la vitrine d’objets à vendre. Généreuse et hospitalière, pas du genre à faire semblant, Sylviane nous sert un vin cuit comme si l’on était au bar. Elle accepte de témoigner « pour la transmission ». Elle égrène des souvenirs de fêtes rurales, où les gens venaient d’Urepel par les chemins. « Quand mon grand-père organisait un méchoui, c’était plein, ça chantait, ça dansait… »

Sur le même sujet
Sur le même sujet

Le pays est longtemps resté à l’écart. Un reportage paru dans « Sud Ouest » en 1967, signé Christian Bombédiac, raconte la vie de ces « Français pas comme les autres », une quarantaine à l’époque : « Pour téléphoner, il faut faire cinq à six kilomètres à pied ou à vélomoteur, selon les familles, autant pour se ravitailler en pain, par ces petits sentiers qui courent dans la montagne. Naguère, le médecin venait à dos de mulet, aujourd’hui, il arrive en 2 CV. » Le journaliste avait rencontré une dame de 44 ans qui n’avait « jamais entendu parler de Johnny Hallyday, pas plus que de Mireille Mathieu ».

Les nombreuses parties boisées du pays Quint sont dominées par le hêtre et le châtaignier.
Les nombreuses parties boisées du pays Quint sont dominées par le hêtre et le châtaignier.

Nicolas Mollo

Les temps ont changé. Les actuels habitants du Kintoa ne veulent plus passer pour « les derniers des Mohicans », comme nous l’a fait savoir une élue locale. Mais la situation particulière de leur territoire fait, par exemple, que l’arrivée tardive de la fibre ressemble aujourd’hui à ce qui s’est passé précédemment pour le téléphone ou l’électricité. « Il y a des problèmes concrets », résume l’ancien maire Michel Ernaga. Récemment, à l’occasion du Covid, puis d’une « menace terroriste » en janvier 2021, les Kintoars ont vu leur quotidien entravé lorsque les frontières ont soudainement retrouvé leur matérialité, avec barrières et soldats. À Pantxika Delobel, la journaliste de « Sud Ouest » venue couvrir cet épisode, une habitante du Kintoa a glissé : « On se sent parfois comme les oubliés de l’Europe. » Sur la carte, il y a des traits. Sur le territoire, il y a des vies.

voirenimages.net vous produit ce texte qui aborde le thème «  ». Le but de voirenimages.net étant de rassembler en ligne des données sur le sujet de puis les diffuser en essayant de répondre du mieux possible aux interrogations que tout le monde se pose. Cet article se veut reconstitué de la façon la plus correcte que possible. Si jamais vous projetez d’apporter quelques précisions autour du sujet «  », vous avez la possibilité de d’échanger avec notre rédaction. Dans les prochaines heures on rendra accessibles à tout le monde d’autres annonces autour du sujet «  ». Alors, consultez régulièrement notre blog.