Viol conjugal : Cyrille Russo condamné à 14 ans de réclusion criminelle

Le jury a répondu « oui » aux huit questions posées par la cour d’assises de Corse-du-Sud. Cyrille Russo, un maçon âgé de 61 ans résidant à Ghisonaccia, a été condamné en appel à 14 années de réclusion criminelle pour cinq infractions, dont des viols et des violences sur son ex-épouse, Danièle Pascale de 2016 à 2020. Une détention à laquelle s’ajoute un suivi socio-judiciaire de 10 ans et une interdiction d’entrer en contact avec les parties. Le non respect de cette obligation entrainera une condamnation de 3 ans de prison. A cela, s’ajoute un an d’emprisonnement pour évasion. Enfin, il écope d’une interdiction de porter une arme pendant 15 ans.

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Le délai d’appel pour former un pourvoi en cassation est de 5 jours, mais la défense a indiqué qu’elle y renonçait.

Le verdict, survenu au terme de 5 heures de délibéré a été accueilli dans le calme, sans débordements, tandis que Cyrille Russo demeurant tout aussi impassible que lors de ces cinq journées d’audience, semblait se résigner à cette nouvelle. Il a salué sobrement son fils, puis s’est engouffré dans la nuit pour rejoindre sa cellule dans un silence de cathédrale.

Un climat d’emprise et de soumission

Dans la motivation du jury, la présidente Valérie Le Breton a rappelé que l’« attitude de l’accusé » qui n’avait « pas conscience du préjudice subi par les victimes » avait pesé, au même titre que la « gravité » des faits, « commis dans un climat d*’emprise et de soumission** »*. L’intime conviction s’est aussi forgée dans les « déclarations concordantes » des victimes, des témoins et du psychologue qui estime « crédible » la voix de son ancienne épouse qui détaillait les viols conjugaux.

La cour a suivi en partie les réquisitions de l’avocate générale Catherine Levy, main de fer dans un gant de velours, qui avait requis 16 ans de réclusion pour les viols, les violences, la tentative de rapt, la détention d’armes auxquelles elle ajoutait 3 ans d’emprisonnement pour l’évasion de la gendarmerie. Le tout assorti d’un suivi-socio judiciaire accompagné d’une obligation de soins.

Descendant de son pupitre pour parler au jury directement dans l’arène judiciaire, (comme l’avait fait à Bastia sa consœur Charlotte Beluet pour le procès du féminicide de Julie Douib), elle a raconté le calvaire de Danièle Pascale, femme à la « vie chronométrée, au temps restreint », vivant sous l*' »emprise »* de son mari, un tyran domestique qui l’étouffait à petit feu. Et au milieu, des humiliations, des brimades, des coups, des punitions. « Si on ne part pas à la première gifle, c’est plus dur après. »

L’accusation plonge les jurés dans le paroxysme de la violence, avec un trop-plein, le 9 juillet 2020 à Ghisonaccia, où la sexagénaire subit un rapport sexuel forcé de trop et appelle au secours sa fille cadette Claudia,  la suppliant de venir avec sa voiture vide : « O figliola, falla incù a vittura biuta ». Elle l’attend sur le perron, derrière quinze sacs poubelle noirs qui contiennent toute sa vie. Sa fille qui a raconté ce sauvetage à la barre coupe sa mère pour ne pas entendre ce qu’elle a subi dans la chambre, ne pouvant se résoudre à prononcer le mot « viol ».

La cavale d’une épouse traquée

Direction Bastelicaccia, chez sa fille aînée Sabrina, où Cyrille Russo tente d’abord en compagnie de son fils, de la convaincre de revenir au domicile conjugal. Le bouquet de fleurs qu’il a apporté s’évanouit rapidement devant sa violence verbale. La famille s’interpose. Cyrille Russo repart finalement sans elle, mais retente sa chance, le 22 juillet où il  la force  à s’engouffrer dans son 4X4. Ses filles contactent les gendarmes qui appellent le forcené sur son téléphone, le persuadant de se rendre à la caserne la plus proche puisqu’il dit que sa femme « désire retirer la plainte qu’elle a déposée ». Ce stratagème permet son interpellation à Solenzara et sa condamnation en comparution immédiate à 10 mois de prison avec sursis pour harcèlement. Lui, fait appel et affirme que sa femme est manipulée par ses filles.

L’avocate générale est revenue ensuite sur cette journée du 16 août 2020.  Danièle Pascale a changé d’adresse, elle est désormais à Propriano, cloîtrée chez sa cadette, Claudia. Cyrille Russo attend son heure, ce jour-là, tapi dans un buisson aux alentours de la résidence en plein cagnard. « Comme un prédateur guettant sa proie ». Abaissant le parasol sur la fenêtre, il trompe la méfiance de Danièle Pascale qui sort pour le réajuster. S’ensuit une empoignade. Il reconnait « fou de rage » avoir donné « une gifle et l’avoir tirée par les cheveux ». Le locataire, un pompier volontaire d’1.60 m maîtrise cet imposant agresseur qui détale ensuite au son des sirènes des gendarmes.

A partir de ce jour, des amis de la famille  prennent la décision de cacher Danièle Pascale pour créer un « bouclier » entre elle et son mari évanoui dans la nature. Finalement arrêté le 1er septembre à l’hôtel Best Western d’Ajaccio, Cyrille Russo est placé en garde à vue. Lors de son interpellation il était en possession de trois téléphones « occultes »,
11 500 euros en liquide, les papiers de sa femme; dans le top case de sa moto, les gendarmes découvraient des jumelles. A son domicile un fusil, des cartouches de chasse et de 9 mm avaient été saisis. Bref la panoplie du voyou sur la piste d’un guet-apens.

L’évasion en garde-à-vue du mari forcené

Placé en garde à vue à la gendarmerie de Ventiseri, il ne reconnaissait pas les faits qui lui étaient reprochés et se plaignait d’une hernie discale. Juste le temps de fausser compagnie aux pandores, en sautant de la fenêtre puis en escaladant un grillage de 2.50 m. Un gendarme s’est rompu le talon d’Achille en tentant de le rattraper. Une évasion dans les règles de l’art pour laquelle le gendarme s’est excusé auprès des victimes à l’audience.

La traque des enquêteurs, aidés d’un chien ou d’un hélicoptère ne donne rien. C’est finalement un gendarme qui l’aperçoit dans le lit du Travu, torse nu, avant de perdre sa trace dans le maquis. Les forces de sécurité craignent alors qu’il ne quitte l’île pour se rendre en Grèce
Finalement, les gendarmes remettent la main sur Cyrille Russo onze jours plus tard, le 13 septembre.
S’ensuit l’instruction judiciaire qui tente de percer l’intimité du couple.

Difficile d’être dans l’alcôve conjugale, mais deux anciennes épouses de Cyrille Russo racontent la même descente aux enfers. Elles ne sont pas venues témoigner devant la cour, mais leurs dépositions ont été lues. La défense avait demandé le renvoi du procès, en estimant que ce procédé est « contraire au principe du procès équitable », puisque chaque accusé a le droit d’être confronté à ses détracteurs.

« M. Russo prenait Mme Pascale pour son objet », a appuyé la représentante du ministère public, tissant un lien invisible et douloureux entre les trois femmes de la vie de l’accusé. « Les faits de viols sont établis par contrainte, par menaces, sont décrits toujours dans des termes identiques et estimés crédibles par les experts », a soutenu l’avocate générale Levy, caractérisant  » le viol conjugal, gravé dans une loi depuis 2006″ et étant une circonstance aggravante depuis 2010. « Le viol entre époux, c’est toujours plus difficile, 65% des victimes connaissent leur agresseur sexuel, 29% sont victimes de leur conjoint« . Des chiffres qui glacent la salle, mais laissent là encore l’accusé de marbre, lui qui assure avoir « toujours choyé ses femmes ».

Elle aurait pu être la 114e femme tuée en 2020″

Au matin, la partie civile avait évoqué devant la cour la crainte, la « peur » de Mme Pascale et de ses deux  filles, qu’il ne soit libéré.  « 113 femmes ont été tuées en 2020, Danièle Pascale aurait pu être la 114e » a soulevé Me Charlotte Cesari, citant des chiffres qui donnent le tournis aux jurés : 64 300 femmes  ont été victimes de violences intrafamiliales. « Monsieur Russo, vous êtes l’alchimiste de la douleur qui a changé le paradis en enfer », a-t-elle tonné, en citant Charles Baudelaire,  » Vous êtes le mal incarné ». A sa suite, Me Antoine-Vinier Orsetti a balayé la thèse du complot, véhiculé par l’accusé.

La défense devait affronter un mur pour gommer l’image taciturne, violente et froide que l’accusé a délivrée lors de son procès en appel :  le délit de sale gueule ne peut forger l’intime conviction.

Sa défense a parlé à trois voix, Me Emmanuel Maestrini a donc plaidé le dossier, car il n’y pas de « monstres » dans les cours d’assises, seulement des individus. « Cyrille Russo était un homme perdu, détruit par le chagrin, dégouté », plaide le conseil « sa femme c’était tout pour lui ». Implorant le jury de le juger « à hauteur d’homme », il a martelé qu’il n’existait pas dans ce dossier de « preuves incontestables », mais des « scories » : « Mettriez-vous votre main à couper qu’il est coupable? « 

A sa suite, Me Celia Marcaggi-Mattei a rappelé, comme les vers de l*’Enfer* de Dante, que les accusés devaient « laisser toute espérance » en pénétrant dans l’univers carcéral. La robe noire, veut y replacer le droit : « On a laissé l’orgueil et l’émotion supplanter la raison. » Et de reprendre :  » Oui, M. Russo est un personnage, mais on ne l’a jamais cru ». Selon elle, les droits de la défense ont été bafoués. Lors de l’audience, elle a assuré, qu’empêchée, elle n’avait pu assister son client face au juge qui avait refusé de différer l’interrogatoire. Pour le viol, elle ne trouve aucune preuve rapportée par l’accusation.

« Sacralisation de la parole de la victime »

Plus en rondeur, le bâtonnier Me Philippe Gatti a joué la pédagogie et la connivence avec les jurés. En leur expliquant par exemple ce qu’est une conjugopathie, cette maladie du couple diagnostiquée par le psychologue qui en fait un terrain miné. En jouant le registre du « drame classique », combinant l' »ennui » ou le « manque de communication ».  En brandissant enfin le petit livre rouge du Code pénal, il a exposé la notion de viol conjugal. Après tout, entre époux, le consentement est a priori, acquis, sauf preuve du contraire. Le pénaliste redoute de se trouver « au bord du gouffre de la catastrophe judiciaire » devant la « sacralisation de la parole de la victime », osant un parallèle avec le scandale d’Outreau.

Les jurés n’ont pas été convaincus par ces explications, prisonniers de l’ataraxie de l’accusé, sphynx immobile en veste bleue dans son box de verre du lundi au vendredi. A l’issue du verdict, son ancienne épouse, Danièle Pascale a indiqué  à RCFM son « soulagement » de savoir son bourreau entre quatre murs et d’avoir été entendu en tant que victime. Tout en indiquant sa force de se reconstruire pour mener enfin une vie « normale : « Il faut libérer la parole pour mettre des mots sur des maux. « 

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